Encore un cas intéressant, cette différence de titre. Entre la sobriété anglo-saxonne et l'envie française d'étoffer, d'expliciter. En réalité le titre français n'est autre que la première phrase (ou presque, ne chipotons pas) du roman et elle fait beaucoup plus sens qu'un simple "balayeur de rue". Ce balayeur, c'est Lamont Williams, tout juste libéré de prison pour complicité de braquage dans lequel il ne savait même pas être enrôlé. Bénéficiaire d'un programme de réinsertion très sélectif, il a le droit à une période d'essai de six mois dans un grand établissement médical pour cancéreux. La petite négligence d'un collègue va permettre la rencontre entre Lamont et Henryk Mendelbrot. Une amitié qui va surtout se développer autour du passé très particulire de ce dernier. En effet Henryk a fait partie du Sonderkommando et il va demander à Lamont de mémoriser tous les détails de l'horrible tâche qui lui fut incombée plus de soixante ans plus tôt.
Le personnage de Lamont prend peu à peu de la consistance au fur et à mesure que le lecteur découvre son passé. Père d'une fillette de deux ans lors de son arrestation, il va tenter de retrouver la femme qu'il aime mais qui semble avoir pris ses distances et de revoir sa fille dont il a été privé pendant six ans. Sa cousine Michelle dont il était très proche quand ils étaient gamins est toute dévouée aux causes sociales et pourrait l'aider.
Un deuxième personnage plus présent que les autres partage l'affiche avec Lamont. Il s'agit d'Adam Zignelik, historien à l'université de Columbia, dont la déchéance professionnelle et la séparation avec sa femme sont en train de s'entériner. Une bouée de sauvetage lui est proposée par un ami de son père, William McCray qui lui suggère d'écrire sur sujet glissant mais qui serait fructueux pour la reconnaissance des Afro Américains: bien qu'il n'y ait aucune preuve dans les archives de l'armée américaine, des Noirs auraient bel et bien participé à la libération des camps. Se raccrochant à un fil ténu, Adam va peu à peu plonger en immersion dans la vie et les travaux d'un professeur de psychologie d'origine polonaise, Henry Border qui aurait voyagé en Europe en 1946 pour enregistrer les témoignages de Juifs rescapés.
Telles sont les grandes lignes de ce roman très dense où la multitude des personnages est subtilement liée entre passé et présent. Les histoires personnelles s'entremêlent grâce au savoir-faire d'Elliot Pearlman. Qu'il s'attache à la condition noire américaine pour laquelle règne toujours l'injustice ou à ce qu'ont vécu les Juifs lors de la Seconde Guerre Mondiale, Pearlman accroche l'empathie du lecteur et The Street Sweeper, à travers une fiction très bien documentée, rappelle que les douleurs des peuples ne sont pas comparables. Des gens plus calés en histoire ou dans le domaine des luttes et tensions sociales américaines pourront lui reprocher raccourcis et autres omissions, il n'en reste pas moins un excellent pavé. Fortement humaniste, ce roman remue et choque parfois (certaines pages sont à la limite du supportable, par leur froideur documentaire), mais la littérature ce n'est pas toujours l'histoire d'une gentille mercière qui gagne au loto. On referme le livre avec la satisfaction d'avoir lu quelque chose d'important.
Petit bonus, interview de l'auteur: http://www.youtube.com/watch?v=iET-FY02Ds8
La mémoire est une chienne indocile, Elliot Pearlman, Robert Laffont, coll. "Pavillons", 23€. Traduction de l'anglais (Australie) par Johan-Frédérik Hel Guedj.
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