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vendredi 30 août 2013

Rentrée Littéraire 2013 - 3ème Partie: L'Extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea (Romain Puétolas), Le Premier vrai mensonge (Marina Mander) & La Cravate (Milena Michiko Flasar)

Tous les ans, c'est la même chose. On a un chiffre, le nombre précis de sorties et l'on se focalise sur les auteurs que tout le monde connaît déjà et qui vendraient leur livre sans même qu'on en fasse un battage. Les librairies sont décorées des mêmes portraits d'écrivains, des mêmes présentoirs. N'attendez pas de moi que je parle du nouveau Nothomb, Schmitt et D'Ormesson. J'ai plutôt l'intention de naviguer dans cette profusion de sorties au gré de mes envies, surtout de voyager et de partager ce carnet de route littéraire avec ceux que ça intéresse (si vous n'êtes que deux ou trois, ça suffira à me satisfaire).
Comme dans la première partie, il y a un podium bien défini, la deuxième était plus homogène et les trois romans présentés ne l'étaient pas par préférence mais par ordre chronologique de lecture.
Au programme de cette troisième partie, un voyage loufoque de l'Inde à la Syrie en passant par l'Europe, un appartement italien et un petit square quelque part au Japon.

L'extraordinaire voyage du Fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea de Romain Puértolas:

Après avoir lu des romans aux thèmes puissamment dramatiques (la traite négrière selon Leonora Miano et le génocide rwandais par Naomi Benaron), j'étais tout à fait de bonne volonté pour en lire un au titre aussi loufoque que L'extraordinaire voyage du Fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea. Hey, je n'ai rien contre un peu de rigolade!

Ajatashatru Lavash Patel est un petit escroc venu du Rajasthan qui s'est fixé pour objectif de se procurer un lit à clous. Et où peut-on trouver un lit à clous de première qualité? A IKEA bien entendu (même si j'opterais plus volontiers pour celui que l'Oncle Fétide garde jalousement dans le manoir de la Famille Addams). Le départ du roman voit notre fakir rencontrer Gustave Palourde, chauffeur de taxi gitan, qui jouera le rôle de l'arnaqueur arnaqué et surtout celui de nemesis (ennemi juré pour ceux qui ne connaissent pas le terme) d'Ajatashatru. Donc direction l'IKEA, non le plus proche mais le plus rémunérateur pour Palourde.

Sa visite du magasin effectuée, il manque non seulement quelques euros au fakir pour la commande de son lit à clous (ce qui lui permettra de faire l'heureuse rencontre de la charmante et charmée Marie) mais aussi la somme nécessaire pour une chambre d'hôtel. Alors il décide de se cacher sous un lit pour passer la nuit au chaud. Et de là découlent toutes ses aventures...

Non, cet Extraordinaire voyage... n'est pas la poilade attendue. Dès les premières pages, on se rend compte qu'il n'est pas si facile de faire rire avec un  roman. Oui un titre qu'il est rigolo et une biographie bidon de l'auteur peuvent faire illusion, mais à l'instar de son personnage principal, Romain Puértolas trompe son monde. Pense-t-il vraiment convaincre avec ses calembours éculés (ça marche avec Pierre Dac et Francis Blanche mais plus du tout en 2013) et ses tentatives de comique de répétition (une blague, si elle n'est pas drôle la première fois, ne le sera ni à la deuxième ni à la troisième et là tu deviens super lourd). Il y a des raccourcis et des clichés qui n'arrange pas les choses, et la caricature est une pente glissante.

Cependant, le roman change de ton, pas très subtilement certes, avec des péripéties prétexte à de bons sentiments (amitié, partage, rédemption) que je considère avec un peu plus d'indulgence qu'un autre plus cynique qui serait tenté de dire que rien ne sauve le livre. Sans être fan absolu de la fable moralisatrice, je reconnaît que L'Extraordinaire voyage... possède donc quelques qualités, mais quand je vous disais que vous trouveriez forcément moins bon que Les Fuyants (voir Rentrée Littéraire 2013 - 2ème Partie), ce bouquin entre dans cette catégorie.

Le Premier vrai mensonge (Titre original: La Prima vera bugia) de Marina Mander:

Luca vit seul avec sa mère. Son père est mort, mais on ne sait pas si c'est littéralement. Il y a aussi Blu, le chat gris. Luca a vu des papas de substitution passer de temps en temps mais aucun n'est resté. Sa vie s'écoule comme les autres gamins: il a un ami, Andrea, une fille qu'il admire sans réussir à lui parler, Antonella, il s'ennuie en classe et déteste les "faces de cul" qu'il croise sur le chemin de l'école tous les matins.

Un matin, sa mère ne se réveille pas. Alors, il se débrouille, se prépare un p'tit déj', s'habille et se rend à l'école tout seul. En rentrant en fin d'après-midi, sa mère ne s'est toujours pas réveillée. Et si elle était morte?

De peur d'être jeté dans un orphelinat, Luca va cacher à tout le monde ce qu'il est officiellement devenu et pendant deux semaines, se débrouiller tout seul dans le silence de l'appartement avec pour seule compagnie Blu, le chat gris.

Dans la veine de ces romans à la première personne, racontés par un enfant, Le premier vrai mensonge est une tragédie du quotidien à laquelle on assiste de l'intérieur. Un événement bouleversant qu'un enfant tente, avec toute sa naïveté, de surmonter. Alternant entre drôlerie, angoisses enfantines et passages touchants, ce roman se lit d'une traite et réussit avec réalisme à aborder un thème difficile sans tomber dans le glauquissime. Une lecture vivement conseillée.

La Cravate (Titre original: Ich nannte ihn Krawatte) de Milena Michiko Flasar: 

Voilà le premier vrai coup de coeur, guyz & girlz. Après avoir parlé dans la deuxième partie d'une américaine qui place son roman au Rwanda, voici une Autrichienne qui le fait au Japon. Il n'est pas question de drame national pourtant. Plutôt la rencontre de deux individus que beaucoup de choses opposent.

Taguchi Hiro est ce que l'on nomme au Japon un hikikomori. Ce terme désigne les personnes, souvent jeunes, qui s'enferment chez eux ou chez leurs parents, qui se coupent volontairement de tout lien social, parfois dans un extrême isolement autant physique que mental.

Taguchi Hiro, vingt ans, n'est pas sorti de chez ses parents depuis deux ans. Ceux-ci, bien que honteux, ont fini par accepter cette non-présence. Il s'arrête dans un parc où il se rendait souvent enfant et s'assoit sur un banc. Il y retourne pendant plusieurs jours.

Jusqu'à ce qu'un salaryman, en l'occurrence Ohara Tetsu, vient s'asseoir sur le banc d'en face. Celui-ci vient de perdre son emploi et n'a pas osé le dire à sa femme. Il fait donc semblant chaque matin de partir travailler, avec son bento.

Taguchi Hiro ne veut lier aucun lien, tirailler par l'angoisse de devenir adulte et pourtant, progressivement, les deux hommes vont entamer une inhabituelle amitié cimentée par leurs drames personnels. Entre les confidences de l'homme qui a perdu sa dignité et celles de celui qui ne veut rien gagner à grandir, le lecteur ne pourra que compatir.

Un premier roman intimiste et mélancolique qui mériterait un meilleur coup de projecteur.

-L'extraordinaire voyage du Fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, Romain Puértolas, Le Dilettante, 19€.
-Le Premier vrai mensonge, Marina Mander, Presses de la Cité, 16€. Traduit de l'italien par Diane Ménard.
-La Cravate, Milena Michiko Flasar, Editions de L'Olivier, 18,50€. Traduit de l'allemand (Autriche) par Olivier Mannoni.

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