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dimanche 25 août 2013

Rentrée Littéraire 2013 - 2ème Partie: Les Fuyants (Arnaud Dudek), Manuel El Negro (David Fauquemberg) & Courir sur la Faille (Naomi Benaron)

Pour cette deuxième partie consacrée à la rentrée littéraire, il m'a été un peu plus difficile de classer ces trois romans dans un ordre de préférence. Trois romans très différents de qualité certaine sans atteindre pour autant le statut de coup de coeur.


Les Fuyants d'Arnaud Dudek:

Selon les mots d'Arnaud Dudek, Les Fuyants est une "mini-saga familiale, tragicomédie de la filiation". Et il est vrai que (presque) tout est dit. Tout tourne autour de quatre personnages, présentés de façon succincte avant le début. Trois générations de pères et de fils, dans l'ordre d'ascendance: Jacob, David et Joseph et ils s'appellent tous Hintel. L'exception étant un oncle par alliance, Simon Yachar, frère d'Esther, mère de Joseph, épouse de David qui nous offre un point de vue extérieur touchant.

On va subtilement d'un personnage à un autre via un journal de Joseph consacré à son père, mais aussi par une narration classique à la troisième personne. Des petites tranches de vies qui dépendent les unes des autres, les désillusions et les choix heureux ou malheureux de protagonistes emplis de doutes et de défauts mais que l'auteur sait rendre immédiatement attachants.

Les Fuyants est le second roman d'Arnaud Dudek. Le premier, Rester sage avait été retenu pour la sélection de Prix Goncourt du Premier Roman 2012, décerné à François Garde pour Ce qu'il advint du sauvage blanc. Publié par Alma, encore récent (leur création date de deux ans seulement), ces quelques 130 pages me confirment l'image que me donnait l'éditeur: des textes contemporains abordables, courts, bien écrits et surtout rafraîchissant. L'histoire des Fuyants n'est pas révolutionnaire (contrairement aux idées altermondialistes de Joseph) mais l'écriture est d'une finesse et d'une ironie dénuée de cynisme qu'il faut applaudir. C'est une fresque familiale habilement condensée où brille une maîtrise d'un doux-amer qui ne vire jamais du côté du lieu commun. Il ne faut pas hésiter à faire un détour par Les Fuyants sur votre parcours littéraire, il y aura forcément moins bon que ça. On peut lire à la fin du roman une postface (qu'on prend, le temps d'une fraction de seconde, pour un épilogue au vu de la fin très ouverte) pleine d'humilité de l'auteur. D'ailleurs, il est drôle de remarquer qu'il utilise la même syntaxe, le même style que les 120 pages qui ont précédé.

Manuel El Negro de David Fauquemberg:

A Jerez de la Frontera, ville andalouse imprégnée de culture gitane, surtout dans le quartier de Santiago, Melchior de la Peña, surnommé Gordo ("le gros") nous raconte son amitié avec Manuel dont le surnom quant à lui est du à sa couleur de peau plus sombre que le gitan moyen. Les deux amis découvrent la tradition qui les entourent, et l'on assiste à leur coup de foudre respectif pour la guitare (ou sonante) et le chant, qui leur permettront de créer un groupe avec les jumeaux de la Perlita, véritable symbiose qui leur vaudrait un succès international.

David Fauquemberg s'est plus que documenté pour écrire son livre, il s'est totalement impliqué tout comme le font Caryl Férey ou Ingrid Astier, a côtoyé les gens, vécu avec eux, voyagé en amassant toutes les subtilités de cette culture (il avait fait la même chose pour son premier roman, Nullarbor, résultat de deux ans passés en Australie). L'auteur selon le quatrième de couverture, confronte "ses personnages romanesques à des figures bien réelles". Pour moi qui n'y connaît rien à ce folklore, je n'en ressens pas moins la richesse à travers l'évocation de musiciens et de chanteurs hauts en couleur qui n'acceptent aucune compromission. Melchior lui-même nous livre sa souffrance de ne pas atteindre la perfection lors de son initiation à la guitare, son insistance à garder un jeu austère, simple mais plus proche de la tradition que ceux qui tombent dans la démonstration et les pièges de la notoriété du genre qui se commercialise.

Manuel El Negro est donc un roman intense, une immersion dans un style musical facilement caricaturé mais d'une subtilité à laquelle David Fauquemberg a voulu rendre justice. Une écriture foisonnante et dépaysante pour qui ne connaît pas l'importance du flamenco (le roman est très souvent ponctué d'extraits de chansons), plus un art de vivre et de crier sa douleur qu'un divertissement qui ne dure qu'un temps. Elle saura fasciner et conquérir les curieux sensibles à une authenticité qu'ils ignorent encore.


Courir sur la faille (Titre original: Running the Rift) de Naomi Benaron:

Naomi Benaron a un parcours atypique. Sismologue et géophysicienne, elle anime des ateliers d'écriture en ligne pour des femmes afghanes et défend, en tant qu'avocate des réfugiés africains. Il y a deux choses dans la biographie proposée par l'éditeur (que je paraphrase allègrement) qui sont liées directement à ce premier roman, Courir sur la faille: elle est aussi marathonienne et triathlète et a eu beaucoup de contacts avec des survivants du génocide rwandais. C'est donc une démarche similaire à celle de Dave Eggers avec Le Grand Quoi qui a donné fruit Courir sur la faille: apporter un témoignage réaliste mais romancé d'un événement d'une violence que l'on a encore du mal à comprendre.

Jean-Patrick Nkuba, à la suite d'une visite d'un coureur célèbre dans son école se découvre une vocation et va y consacrer tous ses efforts. Orphelin d'un père très impliqué dans la paix entre les ethnies hutues et tutsies, il n'a pourtant en toute innocence pas appréhendé les implications de cette distinction ancrée malheureusement depuis des décennies au Rwanda.  De petits incidents, des regards hostiles autour de lui, lui apprendront vite la triste réalité. Les tutsis, dont il fait partie, ne sont pas en odeur de sainteté aux yeux des hutus. Un passage me semble important dans lequel Uwimana, ami du père de Jean-Patrick, explique à celui-ci que le mot ubwoko "voulait dire clan en kinyarwanda" et non ethnie, ce seraient les Belges (inspirés probablement par des fumeuses théories allemandes) qui auraient implanté cette signification dans les esprits.

Le roman débute en 1984, Jean-Patrick grandit et découvre petit à petit les troubles de son pays jusqu'à l'horreur que l'on connaît. Son coach sportif, Rutembeza, lui procurera bien de faux papiers d'identité mentionnant sa soi-disante appartenance hutue afin de l'aider dans ses espoirs olympiques, mais Jean-Patrick sera rongé par un sentiment de culpabilité vis-à-vis de sa famille. Il rencontrera l'amour sous les traits de Béa.

Naomi Benaron ne fait pas dans le sensationnel, son roman est donc susceptible de paraître un peu long, un peu linéaire. Sans être une écriture journalistique, le style semble froid, mais le but de l'auteur n'est pas de faire dans la fioriture, dans l'embellissement inutile. Elle a pour objectif de sensibiliser le lecteur au drame humain que ce pays a traversé. On sent l'inquiétude monter crescendo au fil des messages radio haineux, des titres du journal tout aussi officiels. Ne connaissant pas très bien le contexte historique qui a mené au génocide, j'ai trouvé que Courir sur la faille, à défaut de tout expliquer, est un bon moyen de se faire une idée de la situation rwandaise. 

-Les Fuyants, Arnaud Dudek, Alma, 15€.
-Manuel El Negro, David Fauquemberg, Fayard, 20€.
-Courir sur la faille, Naomi Benaron, 10/18, 19,90€. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pascale Haas.

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2 commentaires:

Lybertaire a dit…

Je n'ai pas tellement aimé Les Fuyants d'Arnaud Dudek, c'est court 130 pages pour apprécier les quatre personnages, par contre j'ai bien aimé la fin ouverte comme ça, c'est plutôt une tranche de vie qu'une histoire finie, et j'aime bien ça !

Gilmoutsky a dit…

Merci pour votre commentaire! Oui, le roman est court mais la concision est aussi un art difficilement maitrisable. Parfois il n'en faut pas plus.