Si LObservatoire n'avait pas été publié il y a quelques mois en Libretto, je me demande si j'en aurais entendu parler. Sorti chez Phébus en 2002, au moment où je n'avais pas encore pensé à être libraire, je n'ai pas assister à l'accueil qui lui a été réservé à l'époque. Quel livre étrange. Ce qui tombe bien puisque c'est ce que je recherche.
La couverture française (Phébus ou Libretto, c'est la même) pourrait induire en erreur, elle fait penser à une illustration à l'ancienne telle qu'elles étaient réalisées au XIXème siècle. Et pourtant elle est de la main même de l'auteur. Une sorte de caricature de son personnage principal. Je dis caricature, mais peut-être qu'Edward Carey voit son personnage tel quel dans la réalité de son roman (quoique... on peut remarquer une différente version de Francis Orme en ouverture de la première partie du roman. Chaque partie aura son personnage représenté). Je suis fasciné par les auteurs qui s'illustrent eux-mêmes. Comme si les mots avaient besoin d'un complément graphique qui, certes empiète sur l'imagination du lecteur, mais qui affirme un univers qui doit être imaginé tel qu'il est créé. C'est donc peut-être un bon choix de l'éditeur français d'annoncer la couleur.
Laissez-moi vous présenter l'énergumène qu'est Francis Orme. En fait, il le fait très bien lui-même dès les premières lignes: "Je portais des gants blancs. Je vivais avec mon père et ma mère. Je n'étais pas un petit garçon. J'avais trente-sept ans." Ces gants blancs, il les porte tout le temps et ne veut absolument pas que l'on voit ses mains nues. Cette obsession sera expliquée au fil du roman. Son métier consiste à rester parfaitement immobile sur un socle, imiter parfaitement une statue et faire des bulles de savon dès que quelqu'un lui donne une pièce. Autrefois, il était le meilleur employé d'un musée de mannequins de cire. L'immobilité est l'un des mots-clés de L'Observatoire.
Le manoir de l'Observatoire était une résidence de campagne qui s'est peu à peu transformée en une sorte d'hôtel. La ville et son mouvement a fini de l'encercler, mais le manoir a obstinément conservé son immobilité, sa marginalité, et ses locataires particuliers vivent dans leur passé, leurs fantasmes, volontairement exilé. Peter Bugg est un instituteur à la retraite qui cache une âme d'enfant blessé, Claire Higg passe sa vie à regarder la télé, persuadée de la réalité des personnages de fiction et totalement en déni de toute réalité extérieure à son appartement, un Portier taciturne et mystérieux dont on ignore tout, et une femme amnésique qui se conduit littéralement comme un chien. Ces personnages dickensiens cachent tous un passé douloureux, tout comme Francis Orme et ses parents (lesquels ne vivent même plus dans la même pièce, comme dans deux temps différents).
Et tiens, revenons-en à Francis Orme qui nous fait part d'un évènement qu'il redoute plus que tout: la venue d'un nouveau locataire! UNE nouvelle locataire dont la présence est perçue comme envahissante et qu'il va falloir par tout les moyens dissuader de rester. Francis va donc former une petite coalition avec Peter et Claire pour ce débarrasser de cette Anna Tap venue de l'extérieur, de cet autre monde.
J'en ai déjà trop dit. Ah pourtant il faut aussi que je mentionne la cleptomanie de Francis qui rassemble tous ces objets volés en une gigantesque galerie dans les sous-sols du manoir. Des objets dont les propriétaires regrettent l'absence puisqu'ils sont tous symboles d'un fort attachement personnel. La couverture de l'édition Vintage, plus froide que celle choisie par Phébus, est constituée d'une petite partie de la collection numérotée de Francis. L'auteur a été jusqu'à en énumérer les 996 composants dans un appendice d'une trentaine de pages. Vous pouvez vous amuser à vérifier si les numéros correspondent à ceux sur la couverture.
Il est tellement rare de trouver ce genre de roman. Un monde replié sur lui-même qui connaît et reconnaît la modernité mais qui refuse d'obéir à ses codes et conventions. Et pourtant, les personnages ont les mêmes émotions que ceux des romans convenus ou s'inscrivant dans la littérature contemporaine. C'est le filtre de l'écriture originale d'Edward Carey qui intrigue et qui enchante. Sur l'édition Vintage est citée une critique de USA Today: "Les lecteurs qui se plaignent de ne plus rien trouver d'original doivent visiter le manoir de l'Observatoire." Enthousiasmé par la découverte de L'observatoire, je suis d'ors et déjà certain de mettre un jour la main sur Alva et Irva le second roman d'Edward Carey dont l'ambiance semble toute aussi captivante.
L'Ovservatoire, Edward Carey, Phébus, coll. "Libretto", 11,80€. Traduit de l'anglais par Muriel Goldrajch.
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