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mardi 26 juin 2012

Dirty Work/Sale boulot de Larry Brown


Du dernier roman publié par Larry Brown de son vivant, L'Usine à lapins (2003), je suis revenu à son tout premier, Sale Boulot (1989). Facing the Music/Faire front et A Miracle of Catfish (non traduit) sont techniquement aux extrémités de son oeuvre, mais sont respectivement un recueil de nouvelles et un roman inachevé (publié posthume en 2007). Je ne compte pas non plus les deux romans jamais publiés (avec "beaucoup de sexe") que l'auteur, autodidacte, a classé avec philosophie et lucidité non comme des erreurs de débutants mais comme un parcours logique d'apprentissage de l'écriture. 

Dirty Work est facile à résumer, l'intrigue d'une simplicité effarante. Deux hommes partagent une chambre d'hôpital pendant une seule nuit et se racontent l'un à l'autre et surtout au lecteur. Ils ont en commun d'avoir fait le Viet Nam (j'en entend qui soupirent....). Braiden Chaney se trouve là depuis un bon bout de temps. Vingt-deux ans pour être précis. Il partirait bien, les jambes à son cou... s'il avait encore ses jambes. Et s'il avait encore ses bras, il lui seraient de toute façon tombés en voyant la tronche de Walter James, vétéran à la gueule cassée, sujet à des évanouissements dus à du plomb, du vrai, dans la cervelle. Un troisième personnage, Diva, l'infirmière et soeur de Braiden fera quelques apparitions, espacées mais cruciales. 

Le roman est rythmé tour à tour par des scènes en Afrique ou des dialogues avec le Divin imaginés par Braiden et les souvenirs d'enfance de Walter, mais leur expérience commune de la guerre, les conséquences de celle-ci sur leur physique et leur mental sera le terreau d'une amitié étrange, à peine amorcée et pourtant profondément touchante. Chacun de son côté, dans sa solitude respective, va peu à peu comprendre et compatir avec l'autre.

Il y a très peu de choses à rajouter. Larry Brown savait déjà en 1989 dépeindre avec modestie et compassion des personnages. "Même s'ils n'étaient que des mots sur le papier, ils étaient pour moi aussi réels que ma femme et mes enfants." Un réalisme que l'auteur s'est attaché à faire passer en grande partie par le verbe et la syntaxe de ces deux hommes du sud des Etats-Unis.

On a déjà le même regard, la même tendresse, dénuée de jugement qu'en 2003 avec L'Usine à lapins. Des gens simples emportés par la violence et l'absurdité d'un monde qui rend perplexe, voire fou. Les références à des ouvrages adaptés au cinéma (Vol au-dessus d'un nid de coucou et Johnny s'en va-t-en guerre, ce dernier, en passant, déjà cité dans One de Metallica, un an plus tôt que Dirty Work) sont là pour nous le rappeler.

Dirty Work est un pamphlet anti-guerre aucunement moralisateur et subtilement universel, malgré son cadre, huis-clos dont lequel les protagonistes tentent de s'échapper par l'imagination ou les souvenirs. On peut le mettre aux côtés du Vin de la colère divine de l'australien Kenneth Cook. 

Rien à voir avec un polar comme veut le faire croire Folio. Et tiens puisque j'en suis à parler édition, je vais conclure en vous faisant part de ma satisfaction de m'être procuré un exemplaire en version originale, chez Algonquin, qui inclut quelques pages tirées d'un discours de Larry Brown tenu le 8 avril 1989, à l'occasion d'une conférence. Ce petit bonus intitulé How I Became A Writer: A Late Start confirme, s'il en était besoin, que Brown devait être un bon gars. Il y raconte ses débuts d'écrivain avec beaucoup d'humilité. Cela m'a aidé à écrire cet article et surtout à me conforter dans mes attentes. Larry Brown était trop talentueux pour oublier de lire ses autres efforts (nouvelles, romans et pourquoi pas ses écrits non-fictionnels, si j'en ai l'occasion) et trop méconnu pour omettre de les présenter ici ultérieurement. 

Sale boulot, Larry Brown, Gallimard/Folio Policier, 17,05€/5,95€. Traduit de l'américain par Francis Kerline.

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