Avec deux ans et demi de retard, on ne se refait pas, voici quelques lignes en réaction au cinquième roman de la série Erlendur Sveinsson. J'ai hélas creusé l'écart: d'un volet de retard, je suis passé désormais à deux. La pertinence d'une chronique sur un bouquin que tous les amateurs de bons polars ont certainement déjà lu reste discutable, mais bon, il y a peut-être des lecteurs qui ne sont pas encore lancés sur le parcours d'Indridason et de son bourru mais attachant personnage, ou qui en sont au même point que moi. Et puis, damnation et boule de crotte, pourquoi se justifier?
Si vous avez déjà lu les quatre premières enquêtes, vous savez qu'Erlendur est accompagné de deux collègues, Elinborg et Sigurdur Oli, qu'il entretient des relations chaotiques avec sa junkie de fille et distantes mais cordiales avec son fils. Sans oublier son obsession pour les disparitions en régions hostiles depuis celle de son frère alors qu'ils étaient enfant.
Tout ce beau petit paquet est le fil rouge pas très joyeux qui relie toutes les enquêtes, qui elles sont à chaque fois différentes, indépendantes et ne bénéficient pas de rappels d'un roman à l'autre. Elles sont là pour raconter l'Islande des dernières décennies, sur des aspects bien définis et complexes de cette société que l'on connaît si peu. On peut déceler quelques teintes d'humour noir, mais les habitués ne s'attendent pas à des éclats de rire. Donc pas de réparties spirituelles ou potaches comme on peut en lire dans le polar de divertissement. Pas de grosses ficelles ni de rebondissements invraisemblables.
Non une poétique grisaille enveloppe les histoires d'Indridason et dès les premières lignes d'Hiver Arctique, le lecteur s'en prend une sévère. Là comme ça, sans véritable préambule narratif confortable, Erlendur, Elinborg et Sigurdur Oli se tiennent au-dessus du cadavre d'un enfant. Jovial, non? Les âmes trop sensibles n'iront même pas jusqu'à la deuxième page. L'enfant en question se prénomme Elias, métis islando-thaïlandais (ça marche aussi dans l'autre sens), et il vivait avec son grand-frère Niran et sa mère Sunee, thaïlandais tout court en ce qui les concerne.
Tout au long de l'intrigue, les trois flics explorent toutes les pistes possibles, le cercle d'investigation se restreignant tout de même au cadre de l'école des deux frères et du voisinage. C'est bien évidemment le crime raciste qui s'impose à l'esprit des protagonistes et parmi les personnages interrogés, certains n'ont pas les idées très claires. Mais ça serait trop simple et pas assez glauque si les ombres de deux pédophiles n'erraient pas également dans les parages. L'un très connu des services de police, l'autre, lié au premier, qui s'applique, socialement parlant, à n'être qu'une rumeur, un courant d'air qui glisse entre les doigts. Une affaire parallèle traîne aussi dans la cervelle d'Erlendur, cette femme trompée qui a disparu. Est-ce elle qui compose le numéro de portable de notre triste flic (tiens mais ça serait pas le titre d'un roman d'Hugo Hamilton, ça, Triste Flic?) d'une voix tourmentée?On ne connaîtra seulement le qui du pourquoi du comment de ce meurtre qu'une dizaine de pages avant de refermer le livre.Ne soyez pas trompés par l'ironie de ma chronique, j'aime beaucoup ce vent glacé et tristement réaliste que nous propose Arnaldur Indridason depuis plusieurs années maintenant. L'épure du style et l'absurde métaphysique qui emplissent Hiver Arctique rapprochent plus que jamais l'auteur à des confrères tels que Pelecanos et Simenon. Le cadre géographique a beau changer, le tragique et l'aléatoire propres aux romans de ces auteurs restent universels.
Hiver Arctique, Arnaldur Indridason, Métailié, 19€/Points, 7,50€. Traduit de l'islandais par Eric Boury.
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