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La petite ville d'Empire Falls, donc, située dans le Maine, n'est plus ce qu'elle était. De l'activité industrielle florissante ne reste que des édifices vides. Parmi les commerces survivants, l'Empire Grill, restaurant tenu par Miles Roby, continue à vivoter tant bien que mal, la bière et les hamburgers étant toujours valeurs sûres pour les palais des autochtones.
Miles attend patiemment le jour où l'Empire Grill lui appartiendra. Hélas, Empire Falls appartient à Mrs Whiting, dernière, par lien marital, d'une lignée familiale qui a toujours dominé la ville. Et il semble que Mrs. Whiting ait la peau coriace. Mais ce n'est pas le seul soucis de Miles. Entre ce trou-du-cul de Walt Comeau, regrettable client régulier et lourdingue qui prodigue ses conseils (toujours ignorés) pour optimiser l'activité du restaurant, son paternel, Max Roby, épave puante pétrie de mauvaise volonté et Jimmy Minty, copain d'enfance devenu flic moins compatissant qu'envahissant, on se demande comment Miles peut rester sain d'esprit. Ah mais n'oublions pas de mentionner que Jeanine s'impatiente de leur divorce, toujours pas enterriné, et qu'elle a préféré s'acoquiner avec ce loser de Walt. De son côté, Cindy Whitings (fille de) a survécu à ses deux tentatives de suicide... par amour pour lui. Heureusement, sa fille Christina aka Tick, son frère David, handicapé d'un bras suite à l'emprunt de mauvais chemins (ceux du père, il semble...) et sa serveuse Charlene, de laquelle il est (pas tout à fait) secrètement amoureux, gravitent aussi autour de ce brave homme.
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Racontant, de façon très drôle, les relations de couple de la famille Whiting sur trois générations (il est question, entre autre, de coups de pelle), deux flashblacks, les toutes premières et les toutes dernières pages prennent le point de vue de C. B. Whiting, dernier mâle de la lignée. Mari de la Mrs. Whiting, Francine de son prénom, évoquée plus haut, c'est un personnage fantômatique qui hante le roman. Les autres flashbacks se rapportent plus à Miles, tour à tour enfant, adolescent et jeune homme. Ils prennent peu de place mais teintent ce roman, d'une finesse d'un niveau qu'on ne soupçonnait pas, de significations ultimes.
On le commence comme une comédie, solidifiée par des traits d'esprit irrésistibles, surtout dus à la résignation ironique de Miles envers toutes ces figures symbolisant ses emmerdes. Même Timmy, la chatte de la maisonnée Whiting, en est la cible, elle qui a autant du chat du Cheshire que d'un familier au sens ésotérique (tiens, ça me fait penser qu'une librairie spécialisée vient d'ouvrir à Paris, près du métro Père Lachaise: L'Antre-Monde, 142, rue du Chemin Vert). Un prêtre sénile, un adolescent d'un mutisme inquiétant, des relations cimentées mais difficiles qui se complexifient (la psychologie des personnages tombe, quelques rares lignes toutefois, dans l'excessif)... tout pour nous mener subtilement en bateau entre mensonges triviaux, secrets familiaux et révélations parsemées, et ce jusqu'aux dernières pages.
Un dosage dramatico-comique qui a été récompensé par le Prix Pulitzer 2002. Sans mentir, j'ai chopé un exemplaire du roman sans voir tout de suite la mention sur la couverture. Cependant, cela m'a conforté dans mon choix vu la qualité des œuvres récompensées sur lesquelles j'étais tomber par le passé. Leur légitimité me semble bien plus constante que le Goncourt National qui divise tellement selon les années. Bref, ne rentrons pas dans un débat, j'ai bien l'intention de conclure là-dessus.
Empire Falls, Richard Russo, Vintage (VO), prix variable.
Le Déclin de l'empire Whiting, Table Ronde (21,50€) et 10/18 (10€). Traduction de Jean-Luc Piningre.
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