Richard Russo est l'un de ces écrivains américains d'une popularité moins fulgurante, en France, qu'un John Irving par exemple, mais d'une qualité littéraire qui appelle les applaudissements. Quatre saisons à Mohawk est représenté dans ce même blog par quelques lignes extraites. J'en ai un très bon souvenir, et il est dommage, j'avais un doute là-dessus, que je n'en ai pas fait un petit article. Seul roman de cet auteur lu jusqu'à maintenant, il m'avait suffisamment impressionné pour me garantir d'autres échappées ultérieures dans ses lignes. Mon choix arbitraire parmi deux ou trois autres de ses bouquins, dont je vous épargne les détails, s'est arrêté sans véritable raison sur Empire Falls. D'une concision que l'équivalent français explicite un peu trop, vous ne trouvez pas? Sans faire tout un laïus, Empire Falls est une ville, mais le titre peut-être lu d'une autre façon, comme l'est subrepticement suggéré par la typographie sur la couverture de l'édition Vintage ci-contre.
La petite ville d'Empire Falls, donc, située dans le Maine, n'est plus ce qu'elle était. De l'activité industrielle florissante ne reste que des édifices vides. Parmi les commerces survivants, l'Empire Grill, restaurant tenu par Miles Roby, continue à vivoter tant bien que mal, la bière et les hamburgers étant toujours valeurs sûres pour les palais des autochtones.
Miles attend patiemment le jour où l'Empire Grill lui appartiendra. Hélas, Empire Falls appartient à Mrs Whiting, dernière, par lien marital, d'une lignée familiale qui a toujours dominé la ville. Et il semble que Mrs. Whiting ait la peau coriace. Mais ce n'est pas le seul soucis de Miles. Entre ce trou-du-cul de Walt Comeau, regrettable client régulier et lourdingue qui prodigue ses conseils (toujours ignorés) pour optimiser l'activité du restaurant, son paternel, Max Roby, épave puante pétrie de mauvaise volonté et Jimmy Minty, copain d'enfance devenu flic moins compatissant qu'envahissant, on se demande comment Miles peut rester sain d'esprit. Ah mais n'oublions pas de mentionner que Jeanine s'impatiente de leur divorce, toujours pas enterriné, et qu'elle a préféré s'acoquiner avec ce loser de Walt. De son côté, Cindy Whitings (fille de) a survécu à ses deux tentatives de suicide... par amour pour lui. Heureusement, sa fille Christina aka Tick, son frère David, handicapé d'un bras suite à l'emprunt de mauvais chemins (ceux du père, il semble...) et sa serveuse Charlene, de laquelle il est (pas tout à fait) secrètement amoureux, gravitent aussi autour de ce brave homme.
Selon toute apparence, Miles est le personnage principal du roman. Mais tous ces personnages qui ont l'air d'être seulement secondaires, que ce soit pour lui pourrir la vie ou essayer de l'alléger, proposent au lecteur et au fil des chapitres, des individualités observées à la loupe. Richard Russo tisse des liens narratifs de plus en plus clairs, l'interaction entre chacun d'eux se révèle d'une efficacité imparable.
Racontant, de façon très drôle, les relations de couple de la famille Whiting sur trois générations (il est question, entre autre, de coups de pelle), deux flashblacks, les toutes premières et les toutes dernières pages prennent le point de vue de C. B. Whiting, dernier mâle de la lignée. Mari de la Mrs. Whiting, Francine de son prénom, évoquée plus haut, c'est un personnage fantômatique qui hante le roman. Les autres flashbacks se rapportent plus à Miles, tour à tour enfant, adolescent et jeune homme. Ils prennent peu de place mais teintent ce roman, d'une finesse d'un niveau qu'on ne soupçonnait pas, de significations ultimes.
On le commence comme une comédie, solidifiée par des traits d'esprit irrésistibles, surtout dus à la résignation ironique de Miles envers toutes ces figures symbolisant ses emmerdes. Même Timmy, la chatte de la maisonnée Whiting, en est la cible, elle qui a autant du chat du Cheshire que d'un familier au sens ésotérique (tiens, ça me fait penser qu'une librairie spécialisée vient d'ouvrir à Paris, près du métro Père Lachaise: L'Antre-Monde, 142, rue du Chemin Vert). Un prêtre sénile, un adolescent d'un mutisme inquiétant, des relations cimentées mais difficiles qui se complexifient (la psychologie des personnages tombe, quelques rares lignes toutefois, dans l'excessif)... tout pour nous mener subtilement en bateau entre mensonges triviaux, secrets familiaux et révélations parsemées, et ce jusqu'aux dernières pages.
Un dosage dramatico-comique qui a été récompensé par le Prix Pulitzer 2002. Sans mentir, j'ai chopé un exemplaire du roman sans voir tout de suite la mention sur la couverture. Cependant, cela m'a conforté dans mon choix vu la qualité des œuvres récompensées sur lesquelles j'étais tomber par le passé. Leur légitimité me semble bien plus constante que le Goncourt National qui divise tellement selon les années. Bref, ne rentrons pas dans un débat, j'ai bien l'intention de conclure là-dessus.
Empire Falls, Richard Russo, Vintage (VO), prix variable.
Le Déclin de l'empire Whiting, Table Ronde (21,50€) et 10/18 (10€). Traduction de Jean-Luc Piningre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire