Il mouille le plomb à la poupe et, regardant filer la ligne, il pense à Huck et Jim. Il imagine les deux amis sur la rivière Detroit, descendant son cours depuis Windmill Point, flottant tranquillement en territoire libre, allongés l'un près de l'autre sur un radeau que réchauffe le soleil.
Il aime cette image.
Il ne peut s'expliquer, ni expliquer à quiconque, le réconfort qu'elle lui procure. Elle le ramène à sa propre enfance, à l'époque où tout semblait possible, où les jeux les plus idiots devenaient l'odyssée d'un héros et où aucune défaite - aucune compétition, aucune bataille - n'était purement et simplement une défaite.
Il voit les silhouettes idéales de Huck et Jim, leurs bras et leurs jambes qui battent l'eau argentée.
Régulièrement, il repose son esprit sur cette vision; elle lui redonne force et substance et lui permet d'échapper à son gré, pour un instant du moins, à la crainte étrange qui s'est emparée de lui pendant la Guerre - l'impression que sa peu et ses os s'effacent et se changent en brouillard, comme si son corps n'était rien d'autre qu'une vapeur blanche.
Le Blues des Grands Lacs, Joseph Coulson, Sabine Weispieser. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Judith Roze.
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