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Le cuisinier Dominic Baciagalupo et son fils Danny sont contraints de quitter le nord du New Hampshire à la suite d'une tragique méprise de la part de Danny. Constable Carl (surnommé péjorativement "Cowboy", pour son attitude violente et bornée où l'alcool joue un rôle plus que certain), directement concerné par a tragédie évoquée, va se mettre en tête de les retrouver. Un autre personnage, impliqué dans cette poursuite, est un des meilleurs personnages jamais créés par Irving. Ketchum, le bourru à moitié (voire plus) dingue, le tourmenté et protecteur radical des fugitifs, vous choque, vous fait rire et vous attriste. Dans une potentielle adaptation cinématographique, je me demande quel acteur pourrait le jouer fidèlement, peut-être Jack Nicholson? Sur la totalité des 670 pages, cette intrigue proche du polar (chose inhabituelle pour Irving donc élément plus que tentant) ne prend pas tant de place que ça et pourtant elle est cent fois plus efficace que tous les romans d'Harlan Coben réunis (oui, c'est une de mes têtes de turc).
Courant sur un demi-siècle (1954-2005), le roman se révèle plus riche qu'une traque pure et simple. Irving nous manipule avec ses flashbacks, les demi-mensonges de ses personnages, leurs passés tronqués, des révélations coup-de-poing, des scènes délirantes et des coïncidences à la limite du vraisemblable. Si, comme la femme évoquée dans la postface, vous détestez la structure des romans du dix-neuvième siècle, allez donc lire autre chose. Irving s'attarde (comme le fait Dickens) sur nombre de personnages secondaires, leur donnant une consistance indéniable malgré leur coté très expressif. Les collègues italiens ou asiatiques de Dominic tout au long de ses déplacements sont les protagonistes des scènes les plus drôles. Appréciez-les à fond, car Last Night In Twisted River est dans son ensemble très sombre et implacable envers ses protagonistes. Beaucoup apprécieront par exemple le petit mystère enveloppant Joe, le fils de Danny. Il est question d'une Mustang bleue mais je n'en dirai pas plus.
Ceux qui sont déjà familiers de l'écriture si particulière de John Irving, retrouveront avec plaisir cette multitude de détails, parallèles et points communs au fil des décennies de l'action avec lesquels il jongle sans difficulté tout en leur donnant un sens. Notre ami l'ours, animal récurrent dans son oeuvre dès le tout premier roman, refait même son apparition. Parler de "recette à succès" serait une affirmation ridicule face à la complexité des thèmes abordés (même les plus exploités par l'auteur ou dans la littérature en général). Mais Irving n'est pas totalement dans son monde: il sait intégrer de façon subtile des épisodes de l'histoire moderne des États-Unis, sans toutefois donner trop d'importance à la politique. Ce qui prime, ce sont les personnages et leur histoire.
Le tout est documenté (vocabulaire culinaire ou vie économique des régions-cadre de l'histoire), et parfois métalittéraire sans atteindre l'expérimental absurde. Semi-autobiographiques, le parcours et l'oeuvre de Danny, écrivain tout comme son créateur, est volontairement très similaire à celui d'Irving. Avec, au passage, quelques apparitions de special guests appréciables pour les amateurs de littérature américaine de la seconde moitié du vingtième siècle. Les passages sur la création littéraire de Danny/Irving laissent parfois s'insinuer un léger ennui, je l'admets, mais c'est si peu comparé à l'intensité globale du roman.
Last Night In Twisted River n'ayant pas encore vu sa traduction française paraître en librairie, je ne peux pour le moment qu'inciter ceux et celles dont le niveau d'anglais est suffisant pour l'apprécier de se jeter dès que possible dessus. Si vous êtes fan inconditionnel de l'auteur, vous parviendrez, lecture achevée, à la même conclusion que moi: il mérite sa place sur le podium, quels que soient les deux autres et l'ordre, selon vos préférences. "Indispensable", "à ne pas manquer" (enfin, une fois qu'il sera disponible en français), ne sont pas des libellés que j'utilise très souvent. J'ai même mis cinq étoiles sur cinq, ce que je m'étais interdit, sur Visual Bookshelf (application Facebook). Que voulez-vous, il y a si peu de romans qui, une fois terminé vous laisse avec une impression si totale, un avis si définitif d'avoir lu un bon livre.
Je suis très évasif sur beaucoup de détails car je souhaite que certaines péripéties ne vous paraissent pas trop prévisibles à la lecture. La quatrième de couverture de l'édition présentée en dit déjà trop. Voici d'autres chroniques fancophones et anglophones pour vous allècher encore plus, mais attention, elles en disent un peu plus que moi:
http://enlivrezvous.typepad.fr/enlivrezvous/2010/02/last-night-in-twisted-river-de-john-irving.html
http://bigmammy.canalblog.com/archives/2010/03/19/17278711.html
http://www.nytimes.com/2009/11/08/books/review/Scott-t.html
http://www.nytimes.com/2009/10/27/books/27irving.html?fta=y
http://network.nationalpost.com/np/blogs/afterword/archive/2009/10/24/book-review-last-night-in-twisted-river-by-john-irving.aspx
http://www.guardian.co.uk/books/2009/oct/24/last-night-twisted-river-irving
Last Night In Twisted River, John Irving, Black Swan, 7,19€ (là où je l'ai acheté, en tout cas).
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