Encore un retour en arrière de quelques années, à l'époque ou le manga était encore pour moi une abstraction. Concrètement, je comblais les trous dans les séries à chaque fois que tel ou tel tome était vendu. Mais ne rigolez pas quand je vous dis qu'un stagiaire (j'étais apprenti, c'est un niveau hiérarchique supérieur, non?) peut servir à autre chose que faire le ménage ou apporter le café. Je ne me rappelle plus comment j'ai amené la chose, si je lui avais confié humblement ma quasi totale ignorance dans le domaine ou si je lui avais demandé quel manga il apporterait sur une île déserte. Il s'était dirigé tout de suite vers la fin du rayon à la lettre T pour me dire que "ça" c'était de loin sa série préférée. Du même auteur que Monster, détail que j'ai mis relativement longtemps à remarquer (un profane en manga ne retient pas encore le nom des auteurs japonais), 20th Century Boys, s'est donc légèrement incrusté dans mon cerveau sans que j'aie l'opportunité de vérifier si le stagiaire avait bon goût. Mais le souvenir de la scène est resté jusqu'à ce qu'une cliente plutôt calée, plus récemment, me confirme la qualité de cette série avec le même enthousiasme.
Avec une intrigue qui se déroule de 1969 à... 2018, multiples flashbacks inclus, 20th Century Boys ne se laisse pas résumer facilement. Il faut se contenter de raconter le début en espérant accrocher suffisamment les gens qui me lisent. Le début, si l'on excepte la scène d'introduction, se partage entre deux années: 1969 et 1997. 1969, une bande de gamins, lors de leurs vacances d'été se construisent une base secrète dans un terrain vague. Ils s'y réunissent pour écouter les radios qui diffusent du rock et lire des magazines (par toujours de leur âge) dans lesquels ils suivent certaines séries très populaires (un des éléments nostalgiques et probablement autobiographiques de l'auteur qu'il faut savoir lire entre les bulles). Entre deux raclées délivrées par des jumeaux fans de catch (on peut dénicher avec plaisir plusieurs références dispersées à ce divertissement tout au long des tomes), deux des gamins, Kenji et Otcho, imaginent une histoire, dessins et détails précis à l'appui, d'une domination du monde qu'il faut combattre. Simple jeu de l'esprit qu'ils recréent innocemment dans leurs jeux quotidiens.
En 1997, ses ambitions musicales s'étant soldées par un échec, Kenji s'est résigné à tenir l'épicerie familiale vendue par une chaîne de superettes. Avec sa nièce encore bébé, Kanna, sur le dos (littéralement), son quotidien est parfois ponctué par les remarques et sermons commerciaux de son directeur. Le départ brutal de sa soeur, la disparition d'une famille entière, un mystérieux symbole et surtout le suicide (officiellement) d'un de ses camarades d'enfance, Donkey, vont s'imbriquer et le mèneront vers une secte dirigée par un personnage masqué, Ami.
Lors d'une réunion d'ancien élèves, Kenji, toujours en contact régulier avec certains des amis d'enfance comme Maruo et Yoshitsune, en retrouve d'autres et c'est l'occasion pour eux de discuter du mystère qui commence sérieusement à occuper leurs esprits. Les souvenirs d'enfance reviennent peu à peu et ils réalisent qu'Ami faisait partie de leur bande (mais qui exactement?) dans ce passé qui se révèle brumeux. Ce dernier semble s'inspirer littéralement de l'histoire créée il y a tant d'années, dans leur base secrète. Mais cette fois-ci c'est du sérieux (oh it's real... it's damn real...).
Je ne peux aller plus loin sans en révéler trop. Commencé simultanément aux derniers chapitres de Monster, 20th Century Boys s'adresse à un public plus large tant dans l'âge que dans les goûts. Là où Monster se révèle clairement thriller avec enquête et action, 20 Century Boys, est plus difficilement classable, encore plus dense, patchwork de genres dominé par l'aventure et la science-fiction. Par contre on retrouve de la part d'Urasawa cette faculté saisissante à jongler avec les péripéties, à étoffer son intrigue, et à créer de vrais personnages.
Certains pourraient grincer des dents à cette comparaison, mais la structure de Monster et 20th Century Boys est similaire aux romans-feuilletons européens du XIXème siècle. Personnages multiples, tous liés par des mini-intrigues, coïncidences dramatiques, fausse pistes et malentendus, certains sont aussi aussi inoubliables que ceux de Charles Dickens ou de Victor Hugo (Urasawa les a-t-il lus?). Le personnage principal n'est qu'une obligation, une façade, et l'on regrette que quelques personnages secondaires ne soient pas plus présents (par exemple ce clochard appelé Dieu qui fait des rêves prémonitoires, mais surtout Donkey).
La lecture en tomes révèlent les grosses ficelles de la forme feuilleton (combien de fois Ami retire-t-il son masque sans qu'on puisse savoir de qui il s'agit?) et quelques clichés ne sont peut-être que clins d'oeil nostalgiques pour coller à cette ambiance assumée.
Très encrée dans la culture japonaise, la série prend comme élément important l'exposition universelle d'Osaka, en 1970, les mangas de cette époque et un combat du bien contre le mal qui sait rester ambigu, non caricatural. Autre événement historique, aussi universel, repris symboliquement à plusieurs reprises, le voyage sur la Lune sur laquelle l'un des trois astronautes n'a jamais posé les pieds (de quoi être frustré à vie, enfin si tout ça n'était pas une mise en scène, ouh là, je vais avoir des problèmes, moi...). La musique rock s'y voit également décernée un rôle en filigrane, souterrain mais essentiel. Le titre lui-même est une chanson de T-Rex et Urasawa, à l'instar de Kenji, est aussi guitariste/chanteur par passion. Ce dédoublement/mis en abyme, est aussi explicite à travers les trois personnages mangaka de l'histoire. D'autres thèmes, de triste et perpétuelle actualité, sont aussi abordés comme la manipulation, la propagande et la psychose de la fin du monde.
22 tomes en tout, le rythme addictif des douze premiers s'essouffle un peu et continue tout de même à conserver un intérêt tout à fait respectable sur les dix derniers. La fin, un peu décevante après tant de développements passionnants, est rattrapée dans deux tomes supplémentaires intitulés 21st Century Boys.
Quelques mots sur l'adaptation en trilogie cinématographique. Obligatoire pour ceux qui veulent continuer un peu leur plongée dans cette histoire humblement inoubliable, le visionnage des trois films peut agacer les puristes qui veulent du 100% fidèle. Pour le spectateur occidental blasé, quelques scènes peuvent paraître cheap ou/et mal jouées (surtout les scènes d'actons), mais dans l'ensemble les plus indulgents seront satisfaits par cette extension parallèle du manga. Pour ma part, les films, outre deux chansons dans la tête, n'ont fait qu'exacerber cette petite addiction laissé inassouvie à la fin du manga. L'achat des 22+2 tomes (et oui, ce n'est pas encore fait) ainsi qu'une relecture s'imposent. J'aimerais me rémémorer quelques détails...
Quelques mots sur l'adaptation en trilogie cinématographique. Obligatoire pour ceux qui veulent continuer un peu leur plongée dans cette histoire humblement inoubliable, le visionnage des trois films peut agacer les puristes qui veulent du 100% fidèle. Pour le spectateur occidental blasé, quelques scènes peuvent paraître cheap ou/et mal jouées (surtout les scènes d'actons), mais dans l'ensemble les plus indulgents seront satisfaits par cette extension parallèle du manga. Pour ma part, les films, outre deux chansons dans la tête, n'ont fait qu'exacerber cette petite addiction laissé inassouvie à la fin du manga. L'achat des 22+2 tomes (et oui, ce n'est pas encore fait) ainsi qu'une relecture s'imposent. J'aimerais me rémémorer quelques détails...
Tout comme Monster, la série a été récompensée par plusieurs prix prestigieux au Japon (bel allitération, isn't it?). En France elle a obtenu le Prix de la meilleure série à Angoulème 2004 et le Grand Prix à la Japan Expo Awards en 2008.
L'inévitable comparaison (chacun aura sa petite préférence) entre les deux séries est facilement explicable: ce sont les seules publiées et terminées de Naoki Urasawa, en France. Deux autres séries sont tout de même en cours: PLUTO (chez Kana, 8 tomes, 3 publiés), un remake (ne pas entendre de mauvaises connotations à ce terme) d'Astro Boy créé par le vénéré Osamu Tezuka et Happy! (chez Panini, 23 tomes, un seul publié pour l'instant) où Miyuki (personnage féminin) arrête sa scolarité pour rembourser les dettes de son frère. D'autres séries encore non importées semblent alléchantes, notamment Master Keaton (18 tomes) et Billy Bat (il faudra attendre un peu, elle n'est en cours au Japon que depuis octobre 2008). To be continued...
Bonus:
http://www.labasesecrete.fr/interview-urasawa.php (Inteview de l'auteur)
http://www.youtube.com/user/labasesecrete (Reportage en 5 parties. La 4ème et 5éme parties se penchent sur 20th Century Boys. J'ai visionné ça après la rédaction de ma chronique, il y a donc des choses très intéressantes que je n'ai pas pu mentionner. Toutefois, attention aux spoilers pour ceux qui n'ont pas encore tout lu.)
20th Century Boys/21st Century Boys, Naoki Urasawa, Panini Manga, 8,95€ pièce.
20th Century Boys/21st Century Boys, Naoki Urasawa, Panini Manga, 8,95€ pièce.
3 commentaires:
Je n'ai réussi qu'à lire les 5 ou 6 premiers tomes. J'ai vu un des films (celui paru chez Kaze), et personnellement je n'ai pas du tout accroché. Le manga passe encore, mais le film ! Le côté cheap ne me dérange pas, mais le scénario ! Je ne comprends pas l'engouement général sur cette série. Je crois que ce sont les thèmes (lutte du bien contre le mal, nostalgie de l'enfance) qui ne me touchent pas. Et ces thèmes reviennent assez souvent dans les mangas. Voilà il me semble, pourquoi j'ai du mal à en trouver qui me plaisent.
Monster, j'ai aimé d'avantage. Je n'ai pas encore tout lu. Mais c'est un peu pareil après 4 ou 5 tomes il faut VRAIMENT que je me force pour lire les autres. C'est longgggggg et répétitif, j'ai l'impression de voir le terrain de foot défiler comme dans Olive et Tom...
Bréf, à mon goût ces longues séries gagneraient à être publiées en 5 ou 6 volumes façon Nausicaa ou Akira, je pense qu'elles y gagneraient en rythme et en densité ce que les éditeurs y perdraient en fric.
Je trouve l'histoire de 20th Century Boys ridicule. Tu l'as bien résumée et je ne vais pas recommencer. Mais même un déséquilibré ne déciderait pas de détruire le monde pour continuer de faire vivre un petit scénario de jeu datant d'il y a 20 ans, c'est grotesque !
Enfin je vais arrêter là ma diatribe, mais ça m'énerve parce que tout le monde aime cette série et je ne comprends pas pourquoi...
Si j'interprète mal l'histoire, expliquez moi, s'il vous plait !
J'aimerais comprendre...
Sans parler de la mièvrerie des personnages et de leurs réactions...
Je pense qu'il faut être japonais pour ne pas tiquer à certains défauts, en effet. Personnellement, j'ai su en faire abstraction et me laisser entraîner dans l'histoire, aussi peu crédible soit-elle. Il y a bien des choses pas très originales, et la série aurait pu être plus courte, mais il faut savoir qu'elle répondait à des impératifs éditoriaux spécifiques qui finissent par desservir la lecture en volumes.
Si tu n'as pas réussi à lire au-delà du 6ème tome, il est inutile d'essayer de te convaincre. Merci beaucoup pour ton avis, je n'avais encore vu d'avis négatif et ça fait vivre ma chronique donc le blog.
Et oui la vie est rude pour certains mangakas ! Faut tenir le rythme !
"On a pressé le citron, on peut jeter la peau"
Merci de ta réponse elle m'apporte quelques éclairages quand à ta lecture dont je n'étais pas certain.
Enregistrer un commentaire