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lundi 8 mars 2010

Sad ending. Isn't it?: En Quête de Nathalie Salvi


"Réhabilitation", en première place de l'anthologie Ouvre-toi! (dont je vous rebats les oreilles, mais que voulez-vous, je fais dans la continuité), fut ainsi choisie pour être la toute première nouvelle découverte (excepté par les petits malins qui lisent les nouvelles dans le désordre) par les premiers lecteurs des éditions Griffe d'Encre. Hugo y découvrait la magie des "mots qui s'assemblaient pour faire des bonds, des cabrioles et parcourir des kilomètres", mise en abyme vertigineuse, on entrait dans deux mondes à la fois celui de l'auteure et celui de l'éditeur. J'ai découvert, un peu en décalage (de deux ans quand même), Nathalie Salvi par cette nouvelle inaugurative à plusieurs titres. Cette éloge de l'imagination avait certainement donné envie d'en lire plus et Griffe d'Encre avait donc publié, une dizaine de mois après Ouvre-toi! (avec, entretemps, un détour par Sortie de route, dans la collection "Novella"), ce recueil intitulé En Quête.

En quête de quoi? de burgers? d'un pub? ou d'une booone aubeeerge? Mais non, dirai-je aux personnes à qui sont destinées ces private jokes. Tout est dit dans le sommaire, à chaque nouvelle est attribuée (par l'auteure ou les co-directeurs de collection?) une notion ou un sentiment que je signalerai en italiques et entre parenthèses (comme s'il n'y en avait pas déjà assez).

Permettez-moi de débuter avec le moins bon. Dans "A mon insu" (... d'immortalité), c'est surtout l'atmosphère guimauve qui m'a un peu irrité. Cette histoire de vie après la mort m'a laissé une mauvaise impression personnelle qui n'est que peu compensée par la petite ambiguité finale. Nathalie Salvi semble apprécier particulièrement, je vais développer plus loin, les fins inattendues. Hélas, c'est prévisible dans "Recycl'âge" (... de rajeunissement) où une femme, devant les yeux de son mari, gagne deux ans par mois, et c'est décevant dans "Charme blanc" (...d'amour réciproque) et sa naïve jeune femme qui fait une petite erreur lors de l'envoûtement du prince charmant. Je suis plus convaincu par les dix-sept nouvelles restantes.

Ne m'en voulez pas pour mon laconisme, mais la nouvelle à chute est un exercice qui interdit tout épanchement superflu potentiellement nuisible à la surprise, donc au plaisir de la lecture. Pour employer des comparaisons, compliments que vous saurez démasquer, les amateurs des Contes de la Crypte ou de Fredric Brown passeront de bons moments. Pour preuve ces quelques perles d'humour noir écrites sur un ton badin mais qui s'amusent à donner une ultime petite distortion.
Elle est littéraire dans "Risque zéro" (...d'aventure assistée) où la banale mais gentille Lucie ouvre la porte chaque soir à un personnage tout droit sorti de ses lectures en cours (trop classiques et conventionnelles à mon goût, mais peut-être est-ce pour coller au personnage).
Acide, voire dénonciatrice du poison télévisuel de ces dernières années, dans "Révélations" (...de pouvoir), où Suzie voit sa vie s'écrouler suite aux confessions de sa fille et de son mari, alors que...
Goûteuse dans "L'Elixir" (... de scoop) où un journaliste du Dégustateur Illustré apprendra trop tard le secret de fabrication de la fameuse Chartreuse Verte. (Si tu vomis... vomis là-dedans.)
Macabre (je parle toujours de la distortion finale, pour ceux qui ne suivent plus) dans "Qu'en sera-t-il cette année" (...de farniente) où l'on fait connaissance avec le pays des Contents, peuple si facile à vivre qu'on est très facilement tenté de profiter d'eux.
Absurde, avec le personnage de "24" , nombre qui le fascine à cause d'une série de coïncidences qui le poursuit.
Possessive dans "Les Patineurs" (... de maîtrise) où une jeune fille aime regarder le patinage artistique en compagnie de sa mère, surtout quand le patineur agit de façon plus que bizarre envers la patineuse.
Proverbiale (hum...) dans "Les Faucheurs" (... de sensations), quand elle illustre le célèbre "tel est pris qui croyait prendre", avec pour victimes deux kleptomanes qui en veulent toujours plus.
Sans oublier la surprenante rébellion d'un peuple Playmobil dans "Tout un monde" (... de supériorité). D'ailleurs ce n'est pas la seule nouvelle où les objets prennent vie. "Chaisifiée" (... de valorisation) met en scène une chaise de bar pensante. Avec entre autre sa rivalité avec les tabourets. Dans l'esprit exercice de style récréatif de l'émission "Les Papous dans la tête", le dimanche midi sur France Culture (est-ce toujours diffusé, d'ailleurs"?).

En Quête possède donc un ton en grande partie léger et distancié. Mais le recueil n'est pas si homogène, Nathalie Salvi propose également des nuances plus sombres. Catégorie nouvelle inclassable on trouve "Des Corps en scène" (... d'étonnement), qui sous la forme d'un article de magazine d'art du futur témoigne du retour du laid et du répugnant en tant que tendances esthétiques. Clin d'oeil aux détracteurs des plastic people. Du genre de Chloé, la vaniteuse beauté, Narcisse moderne au féminin, de "Réflexion d'une frivole" (... de minceur) qui se retrouvera diaboliquement piégée.
Sans aucun doute le texte le plus dur, "Cocotte-minute" (... d'une preuve d'amour), révèle cette fois la facette brute de l'auteure. Violente et sans concessions, l'histoire d'un adolescent emprisonné qui raconte le pourquoi de ses actes.
"Like A Virgin" (...de première expérience amoureuse) raconte comment une jeune fille rêveuse et poète s'éprend à distance d'un marin. Loin d'être mauvaise, je reste intrigué, sans exprimer de reproche, sur le choix de cette nouvelle à jouer le rôle du point final. Une triste fin qui jette un froid, non? Au contraire, "Piqué à vif" se révèle cruellement plus chaleureuse, au sens littéral du terme, avec pour victime un adolescent qui s'éprend d'une pin-up, image qui s'incarnera et qui l'emportera dans son monde à la moiteur étouffante.
Les meilleures nouvelles sont celles qui appellent à la compassion envers des personnages blessés ou en proie au mal-être de ne pas se sentir à leur place. Ainsi, "Cœur pur" (... d'explications) où l'auteure nous présente Robert, un simple d'esprit incompris qui assiste, impuissant, aux malheurs sentimentaux de la belle Angèle.
Ou "La Passerelle" (... de bonheur), où le personnage cherche à se libérer d'un quotidien trop étriqué, qui nous montre une facette poétique mais douce-amère, avec une fin à la Brazil.
La magnifique nouvelle qui ouvre le recueil, "Le Lit d'une reine" (... de fusion), raconte la rencontre entre Mélusine, fillette mélancolique qui appréhende avec angoisse son entrée dans le monde adulte, et un lombric géant qui lui offrira son amitié et sa chaleur.

Là où "Réhabilitation" égayait l'esprit d'une écriture innocente, ces vingt nouvelles, même si elles gardent cet aspect enjoué (à quelques exceptions près), prennent souvent le lecteur à contrepied. Non par sadisme mais dans un élan joueur et complice. C'est le sourire que l'on gardera, teinté parfois d'un petit frisson.

En Quête, Nathalie Salvi, Griffe d'Encre, collection "Recueil" dirigée par Karim Berrouka & Michaël Fontayne, 14€. Merci à Magali Duez et Magali Villeneuve (pour la "grifouille diabolique").

9 commentaires:

Filisimao a dit…

Si ton article ne m'a pas donné envie de lire ce recueil, il m'a par contre fait sourire, mis un petit air dans la tête et surtout donné envie d'HAMBURGERS !

Gilmoutsky a dit…

in daddy's new car?
C'est le contenu du bouquin qui ne te branche pas ou est-ce que j'aurai perdu de mon pouvoir chamanique de persuasion?

Filisimao a dit…

Ahaha ! Non tu me tiens toujours sous ton charme, rassures toi !

Mais il m'avait semblé que bon nombre de ces nouvelles ne t'avaient pas enthousiasmé.

Peut être que je me trompe ?

Ton adepte,

Filisimao

Gilmoutsky a dit…

Il y en a 3 que je n'ai clairement pas aimé, mais les dix-sept autres sont de bonne facture. Si tu lis d'autres chroniques sur le web beaucoup lui reproche sont style d'écriture très simple. Mais N. Salvi sait être simple sans aller dans la platitude. Ceux qui pensent le contraire sont plutôt blasés et ne savent pas parfois s'aérer un peu le cerveau.C'est une des chroniques les plus positives pourtant. Bizarre, tu n'es pas le premier à percevoir du négatif là où il n'y en a pas. Je ne dis pourtant pas de mumbo jumbos ni n'essaie de t'embrouiller avec des débris cosmiques.

Taly Lefèvre a dit…

Franchement moi aussi j'ai cru ne lire quasiment que du négatif dans ta chronique, d'où le fait que je n'ai pas relevé... en même temps je l'ai pas lu ce recueil donc je peux rien dire :)

Gilmoutsky a dit…

Tu me fais marcher? "que du négatif"? j'ai exprimé quelques réserves par-ci par-là, mais j'ai aimé 17 nouvelles sur 20!! bon j'admets que je n'exprime pas un enthousiasme dévastateur mais quand même, de là a y voir "que du négatif"...

Gilmoutsky a dit…

Damn! vous savez qui est Fredric Brown?

Taly Lefèvre a dit…

Excuses-moi je vais la relire plus attentivement alors ;)

Fredric Brown: celui-ci?
http://www.cafardcosmique.com/Fredric-BROWN

Gilmoutsky a dit…

J'ai réécris en partie l'article afin qu'il reflète plus le plaisir que j'ai eu à lire le bouquin.