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jeudi 7 janvier 2010

Digging In The Dirt: Elément I: La Terre (Anthologie Griffe d'Encre)


Sur la mappemonde de mes pérégrinations littéraires, les publications de l'éditeur Griffe d'Encre est une contrée que je tenais à fouler plus d'une fois. Il faut dire que j'y fus très bien accueilli avec leur première anthologie, Ouvre-toi!, et le recueil de Jérôme Noirez, Le Diapason des mots et des misères, récompensé, faut-il le rappeler, hé, tiens, on va se gêner, par le Grand Prix de l'Imaginaire 2010.

Voici donc le premier volume d'un cycle d'anthologies autour des éléments primordiaux si chers à toute cosmogonie qui se respecte. Pour l'instant seule parution du cycle, Elément I: La Terre est une sélection de 13 nouvelles (sur 85 reçues) a priori originales puisqu'elles faisaient suite à ce procédé devenu traditionnel pour l'éditeur, l'appel à texte.
"Venez nous raconter la Terre", telle était l'invitation que l'on peut toujours lire sur le site de Griffe d'Encre. "A vous de creuser dans ses profondeurs pour révéler sources et secrets enfouis...", c'est ce qu'ont prit à la lettre certains des auteurs choisis. Que ce soit pour Julia et Myriam, les deux soeurs dans leur maison hi-tech à 60 mètres sous terre ("Réclusion" de Laëtitia Millet) ou Gundir, le Nain qui doit creuser pour honorer ses Ancêtres ("Les Veines de la Terre" de Gabriel Féraud), l'isolement forcé n'est pas sans conséquence sur l'état psychologique. D'ailleurs, remarquez bien avec quelle vraisemblance Gabriel Féraud décrit la descente de son Nain, autant littérale que figurée, dans la folie. Plutôt surprenant de se pencher sur un archétype de la fantasy et d'en faire un personnage moins caricatural que tourmenté. Le narrateur-gardien de "Dans la Terre" (de Karim Berrouka), est lui atteint d'une folie plus douce qui consiste à recréer des êtres de glaise pour pallier à sa solitude. Une autre descente en profondeur, spéléologique, est racontée sur un ton moins dramatique, celle de "Fata Organa" (Jeanne-A. Debats), et son insupportable héroïne, Alix. Je suis moins indulgent sur cette nouvelle, non pas à cause des piques anti-mecs (ça ne me gêne pas, on le mérite tellement) mais du sarcasme systématique qui devient très vite irritant et aussi pour ses passages explicatifs plutôt maladroits (exclusif! la réaction de Jeanne-A. Debats dans les commentaires). Vous pouvez trouver un féminisme plus subtil dans le film The Descent (phrase totalement déplacée, j'en suis pas fier, et, par la force des choses, devenue ironique: http://jeanne-a-debats.fantasyblog.fr/post/198/2026#Comments. Et qu'on ne dise pas que je suis un nihiliste qui pisse sur le tapis des autres.)

A l'opposé de ces "enterrements", c'est l'éloignement de la Terre nourricière ou le lieu natal qui est évoqué. Pour Ben ("L'Absente" de Sylvestre Cisco), le mot même de "Terre", désignant pourtant son origine, n'est même plus une abstraction, juste un souvenir qui reparaît à la suite d'un rêve collectif, graine de troubles. Tiéri et son grand-père ("Le Cadeau" de Robin Tecon), seront les victimes du service douanier de Mars. Pour Cérèze, on ne parle plus de la même planète (la nouvelle demandera peut-être un petit moment d'adaptation pour quelques lecteurs), mais le refus de la perte d'un être aimé reste universel. "Odeurs des pluies de mon enfance" de Timothée Rey mérite quelques mots de plus, puisqu'elle présente une facette plus mélancolique et donc radicalement différente de la farce que l'auteur avait proposé dans Ouvre-toi! ("Jassîm ibn Menollah, victime des statistiques").

"Poussière de charbon" ("Black Dust") par Graham Joyce, est une double exception. Anglophone à l'origine et nouvelle la plus réaliste du lot, elle n'ouvre qu'une toute petite porte vers l'imaginaire avec sa grotte mystérieuse. Emprunt d'une certaine nostalgie, son point fort est la tension construite entre les personnages. Derrière l'écorce et la rudesse, se cache parfois l'inattendu.
Les rapports souvent conflictuels entre les êtres humains et la terre qui les porte, est un thème qui revient tout au long de l'anthologie. L'entité se venge dans "Terre blanche, Terre rouge" (Marie Barthelet): "Vous m'avez fait bien trop de mal, vous autres les hommes. Vous avez tout pris, tout tiré de moi. C' est à mon tour de prendre et de priver...". Elle obtient même l'aide d'une gamine, Julia, sous la plume cruelle et maîtrisée de Benoît Giuseppin ("Humus Sapiens Cochard, 1917"). Dans un style plus épique, "Le Plaidoyer de la Terre" de Sébastien Gollut, est une amère allégorie écologique qui vaut bien plus que tous les prêchi-prêchas mille fois rabâchés.
Je termine avec deux des meilleures histoires à mon goût (vous pouvez en déceler cinq autres parmi celles déjà évoquées). La petite Florence, figure errante en proie à une malédiction, à cause d'une malencontreuse erreur, laisse une triste mais inoubliable empreinte dans les pages de "Dettes à honorer" écrites par Réjane Durand. Et, enfin, Li-Cam (seconde déjà présente dans Ouvre-toi!) nous gratifie d'une délicieuse nouvelle entre SF et polar, "Mémoires de Terre". Le personnage de l'inspecteur Presle, bourré de préjugés sur les "mutants de l'affect" se voit contraint d'accepter l'aide extérieure de Paul Boyadjan et Frank, un attachant Golem. Si attachant qu'on l'aimerait en personnage récurrent.
Sur le site de l'éditeur peuvent être lus les appels à textes pour les deux anthologies suivantes du cycle des éléments: L'Air (http://www.griffedencre.fr/spip.php?article191) et L'Eau (http://www.griffedencre.fr/spip.php?article193). Si vous avez l'oeil, vous verrez que les dates de clôture sont terminées depuis un certains temps. Espérons que c'est bon signe et qu'elles connaîtront toutes deux la publication cette année.

Elément I: La Terre, Anthologie dirigée par Magali Duez (que je remercie en passant, tiens), Griffe d'Encre, 16€. "Black Dust" est traduite de l'anglais par Mélanie Fazi.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

hello, que tu n'aies pas aimé ma nouvelle, n'est pas très grave, n'empêche si tu l'as lue sous l'angle "anti mecs" je crains que tu ne te sois trompé et je l'ai dit d'ailleurs clairement dans mon blog.
c'est pas parce qu'il y a trois connards dans cette hsitoire que tous les mecs sont des connards ce sont juste trois connards^^ il y en a
(et ça n'empêche pas Alix d'être irritante si tu veux )
maintenant tu fais comme tu veux bien sûr
bonne année
J-A D

Gilmoutsky a dit…

Merci pour ta réaction.
Oui, j'ai été un peu rude, c'est pas très sympa d'avoir isolé ta nouvelle de façon si négative. J'ai bien compris que tu généralisais pas. Bon d'accord, j'admets qu'une part de susceptibilité peut avoir altéré mon jugement. Mais ce n'est pas tout ce qui m'a déplu (en tant que lecteur). Les passages que je qualifie de "maladroits", sont surtout ceux où l'être fantastique explique ce qu'il est. Et surtout, pour développer ce que je dis déjà au-dessus, le sarcasme toutes les trois lignes m'a vraiment beaucoup gêné. L'explication explicite autant que ce sarcasme omniprésent se trouve déjà dans plein de textes et j'ai toujours eu et aurai toujours cette réaction de rejet.
Je sais que chaque auteur dont je parle est susceptible de lire ce que je mets en ligne (j'ai déjà eu des réactions), et quand je lis un commentaire comme le tien, je culpabilise un peu. Mais c'est un juste un avis de plus. J'ai vu une chronique très positive sur ta nouvelle, je ne sais plus sur quel blog.J'espère que mes "attaques" (qui ne sont pas personnelles) n'en réduisent pas la portée.
Je déteste dire du mal d'un texte (si si c'est vrai!!), si je n'aime pas un bouquin, je n'en parle tout simplement pas. Mais sur les anthologies Griffe d'Encre, j'ai tenu à être exhaustif et de parler de toutes les nouvelles.
La meilleure façon de m'excuser est peut-être de lire d'autres de tes écrits.
Gilles (mince j'écris mon vrai prénom)

Gilmoutsky a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Gilmoutsky a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Gilmoutsky a dit…

(Oh pas de censure, ce sont mes commentaires qui ont été supprimés au-dessus, suite à un doublon).
Bonne année à toi aussi:
http://lameralire.blogspot.com/2009/10/bain-de-terre.html

Gilmoutsky a dit…

A propos de ton blog:
1. J'ignorais que tu en tenais un.
2. J'ai lu ton billet et pour te prouver que je ne suis pas fier de mes méchancetés non documentées, je me permet de mettre le petit lien (entre parenthèses).
J'avais bien l'intention de recopier texto les lignes dont tu parles, mais je ne voulais pas cumuler les charges.

Anonyme a dit…

c'est très gentil, Rana, mais faut pas te frapper, non plus.
tu as parfaitement le droit de vomir un texte et de le dire :)
moi je veux bien être critiquée en plus mais pas à coté de la tache ^^
bonne soirée
J-A D

Gilmoutsky a dit…

Oh mais je tenais à faire mon mea culpa. Merci pour l'animation, le blog s'endort un poil.
Gilles (Rana... je ne sais même pas qui a eu l'idée de ce nom...)