"Rana Toad", ça se mange?

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vendredi 8 janvier 2010

Contes Myalgiques I - Les Terres qui rêvent


Dernière en date dans ma randonnée en contrée Griffe d'Encre (je m'étais procuré un Guide du Routard en prévision, tout est dans l'organisation), voici une étape que je n'aurais en toute franchise peut-être pas parcourue sans avoir au préalable pris connaissance de la qualité proposée par l'éditeur. Je ne me permets pas ici de critiquer le travail graphique du recueil, n'interprétez pas mon propos de cette façon. Je veux juste dire que si j'ignorais tout de Griffe d'Encre, je ne me serais très probablement jamais arrêté sur la couverture. Réaction strictement personnelle et injustifiée qui m'aurait fait passer à côté de quelque chose d'unique.

C'est peut-être la première anthologie publiée par l'éditeur, Ouvre-toi! (on ne le dira jamais assez), qui fut la case à franchir pour se débarrasser de tout préjugé sur le genre de fiction a priori illustré là, en haut à droite. Je ne raffole pas de la fantasy pour tout vous dire. Mon premier contact avec la prose de Nathalie Dau, donc, "Le Goût de miel", était convaincant grâce à ses phrases espiègles et si bien tournées. La quatrième de couverture des Contes Myalgiques ne promet pourtant pas le même style d'histoires. Me suis laissé tenter.

Récompensées par le Prix de la Nouvelle aux Imaginales 2008, les onze nouvelles n'étaient pas toutes inédites, une bonne partie, cinq pour être précis, avaient déjà eu l'honneur d'apparaître (à deux reprises pour certaines) dans diverses revues spécialisées, véritable creuset que je n'ai malheureusement pas l'opportunité de feuilleter très souvent. Ces premières publications s'échelonnent entre 2002 et 2007, juste pour culpabiliser eux qui ne découvrent Nathalie Dau que maintenant (hum...).

On voyage beaucoup dans ce recueil. Grossièrement, trois genres de destinations se distinguent. C'est forcément réducteur (les données temporelles sont très floues), mais c'est plus pratique et ça m'aide à construire une chronique qui m'évite le trop facile listing des nouvelles dans leur ordre d'apparition.

Tout d'abord en des lieux issus de l'imaginaire personnel de Nathalie Dau, qui échappent donc aux coordonnées conventionnelles. Le poème est une forme littéraire qui ne m'a jamais inspiré et "Chicanerie" ne fait pas exception. Conscient tout de même qu'un tel travail demande autant d'effort et mérite autant d'attention qu'une nouvelle, je soulignerai tout de même un lien bien arbitraire et interne à ce blog (voir article précédent, là juste en bas, si vous êtes sur la page d'accueil, s'entend). "Nous blessent les curieux qui soulèvent la terre/Pour lui dérober son sourire". Avec un titre qui se révèle quelque peu ironique, "Bonne année !" est une perle de concision. L'espoir apporté par la cérémonie rituelle, le tout raconté par un enfant qui est sur le point de devenir adulte... pour finir sur une note tragique inattendue. Dans une veine féministe, "Désespérée", raconte un être blessé pour qui ne reste que rancoeur et vengeance. Dernière de ces escapades hors de notre monde, "Faux Pas" joue sur le procédé du manuscrit trouvé et sujet à controverse (est-ce un canular?) "Issu du folklore de la race trolle", cette nouvelle contient un humour complètement assumé et m'a personnllement fait pensé à La Famille Addams pour l'apect inversé des perceptions: tout ce qui est répugnant pour un humain est un bonheur pour les trolls.

On se rapproche (un poil) avec des cadres exotiques et primordiaux. "La femme, la sorcière et l'amour" se déroule en Inde et surprend par ses deux actions parallèles qui se rejoignent malgré les restraintes temporelles. On peut qualifier de magie cette façon de faire couler les mois et les années en si peu de lignes. La connaissance des rites indiens de l'auteure est impressionnante. Autant que celle qu'elle a d'un mythe sibérien revisité dans "Vale Frater". Une narration plus traditionnelle aux contes.

La proximité géographique des cinq nouvelles restantes est trompeuse, mais on va pas chipoter pour si peu. Dans ce que je suppose être une France moyenâgeuse (un petit côté Chrétien de Troyes, un peu distordu), "Lucine" repose paradoxalement sur une forme, très moderne (et plus subtile qu'autre part), de féminisme mais aussi sur la sensualité de certaines scènes déséquilibrée par la perversion de la figure paternelle et royale. "Aenor" oppose quant à elle une Bretagne mélancolique à un Midi guerrier. La puissance des sentiments des protagonistes donne un souffle épique à la nouvelle. Nathalie Dau convainc ses lecteur qu'on peut encore émerveiller avec des contes de fées. Du côté lorrain, j'ai du mal à dire ce qui est le plus agréable à la lecture du "Violon de la fée" (Prix Merlin 2006). La façon d'amener le conte ("Il était une fois une histoire qui s'amusait à chatouiller la langue des conteurs...") ainsi que le conte en lui-même démontre si bien la capacité de l'auteure à enchanter son public que les références historiques ne suffisent pas à nous ramener les pieds sur terre. "Le Siestophage" et son atmosphère à la Jean Ray est un conte original où le respecté se révèle dangereuse nuisance pour 'harmonie méridoniale et l'hideux qu'on évite est, au-delà des apparences, salutaire. "Demain les Trottoirs" (v'voyez le clin d'oeil?) est très certainement ma préférée. De très belles pages à la fois brutales et fantaisistes. Une variation d'un Gavroche dans les rues d'un Aubervilliers atemporel. La subtilité repose sur notre appitoiement trompé. Le Gavroche devient maire d'une cité imaginaire. Mais quel prix donne-t-il au pouvoir?

Le mot "myalgique" m'intriguait mais je n'ai pas pris le temps de fouiller un peu pour éclaircir ce mystère avant de finir le recueil. A vrai dire la réponse est dans la postface très instructive, mais alourdie par trop de citations, de Jean Millemann. Oui, il est compréhensible que l'on ait envie de faire partager un si musical agencement de phrases (d'ailleurs, les traducteurs étrangers doivent/devraient avoir beaucoup de mal à rendre tout ça dans leurs langues respectives), mais il faut savoir doser, surtout quand les extraits sont hors contexte. Excepté ce petit reproche gratuit (je me rattraperai en lisant ses textes), Jean Millemann est une personne mieux placée que moi pour parler pertinemment des écrits de Nathalie Dau et 4 pages (dont une et demi de citations, nyarknyarknyark, dis-je en me frottant les mains) lui suffisent pour mettre l'essentiel en lumière.

Pour ceux qui n'éteignent jamais leur lecteur DVD sans avoir vu les bonus, j'ai trouvé une longue interview passionnante (qui date d'octobre euh 2007, scuzez le retard) sur Martlet, un blog confrère: http://martlet-blog.blogspot.com/search/label/interview. Si le recueil vous plaît, c'est une bonne occasion d'en savoir plus sur l'auteure elle-même: on y découvre que ses activités sont loin de s'arrêter à l'écriture de nouvelles, et qu'elle s'inscrit bel et bien dans le monde réel. Indispensable. Pour creuser encore plus: http://www.argemmios.com/.

Bon cette petite randonnée dans Les Terres qui rêvent m'ont épuisé et j'ai besoin d'un booon baaiin dans une booonne aubeeerge avant de repartir A la Recherche de Robert Johnson...


Contes Myalgiques I - Les Terres qui rêvent, Nathalie Dau, Griffe d'Encre, 12€. Collection "Recueil" dirigée par Karim Berrouka & Michel Fontayne (que j'ai déjà croisé et que je recroiserai très certainement en contrée Griffées). Merci encore à Magali Duez.

5 commentaires:

Carméline a dit…

Zut, je pensais que t'allais dire ce que signifiait "myalgiques" :-). En tout cas, ce recueil à l'air intéressant.

Carméline a dit…

Et je suis d'accord avec toi sur les couvertures.

Gilmoutsky a dit…

Pour la couverture, ce n'est pas un avis critique. Le travail graphique de Griffe d'Encre n'est pas en cause. L'illustration ne m'aurait juste pas attiré personnellement.

Pour citer Jean Millemann (aucune ironie là-dedans): "Fibromyalgie, douleur chronique dans les tendons et dans les muscles. Nathalie Dau en souffre, et ce depuis que je la connais."

Carméline a dit…

Mmh, c'est à méditer ? C'est un peu flou :-)
Pour la couv, aussi, ça ne m'aurait pas attiré non plus. Donc, merci à ta chronique !! :-)

Gilmoutsky a dit…

Je t'invites alors à lire l'interview que j'ai mis un lien. Merci Taly pour la justification du texte, ça fait un énorme trou au milieu de la ligne.