Créé avant Conan le Barbare autre personnage populaire de Robert E. Howard, Solomon Kane est une figure fascinante. Solitaire obstiné qui poursuit ses ennemis, à la trace ou à l'instinct, pour assouvir une vengeance sans possibilité de pardon, peu lui importe le temps et les distances. Mais quelques morts-vivants, créatures ailées et magie noire font de bons épices et relèvent davantage le plat. Ingrédients romanesques qui convenaient parfaitement aux pulps tels que Weird Tales.
Présentées chronologiquement (années de publication) de 1928 à 1936, ces aventures dont la qualité d'écriture est indéniable, laissent paraître une évolution du personnage dont l'envie de vengeance se change en une certaine démence. La diversité de ton est due au fait que Howard voulait s'adapter aux demandes des différentes publications auxquelles il envoyait ses récits. Weird Tales acceptaient sans hésiter ceux où dominait la coloration fantastique mais Argosy et Adventure qui préféraient le réalisme lui ont retourné de nombreux refus même lorsqu'il se pliait à leurs exigences. Au final le personnage de Solomon Kane n'eut jamais que les bonnes grâces de Weird Tales.
Solomon Kane reste un solitaire même si dans la toute première nouvelle éponyme, N'Longa, un sorcier, se montre un allié assez important pour réapparaître ultérieurement. N'Longa et le bâton aux pouvoirs immémoriaux qu'il offre à Kane constituent le fil rouge révélateur des efforts de l'auteur pour fidéliser les lecteurs de Weird Tales, qui étaient friands de séries.
Je ne savais comment aborder la question jusqu'à la lecture de la postface de Patrice Louinet (dont sont tirées les citations qui vont suivre). les nouvelles se déroulent dans une Afrique mystérieuse, "Dark Continent" propice à toutes les imaginations. Bien évidemment les clichés pullulent et certains termes ne sont plus très agréables à entendre. Robert E. Howard était "le produit de son époque" où l'on croyait aux "thèses du darwinisme social". Cependant, sa correspondance avec H.P. Lovecraft démontre une ouverture d'esprit que le maître de l'horreur ne possédait pas. Howard, pour qui "les civilisés valent [...] bien moins que les barbares", était antifasciste et s'opposait à la fascination assumée par son mentor envers Mussolini. Mais il n'en reste pas moins, dans ses écrits, un sentiment paternaliste de "civilisateur", qu'il faudra faire l'effort de passer outre afin d'apprécier ce qui ne sont que des aventures divertissantes.
"Des ailes dans la nuit" est le meilleur exemple de ce paradoxe. Censurée dans les années soixante, elle est emblématique du fait que Howard n'a jamais réussi à "se débarasser complètement de certains clichés", même si, dans cette histoire, Solomon Kane est indubitablement amical envers les habitants de ce village attaqué par les akaanas, créatures montrueuses et ailées avides de destruction. Il établira même un plan de vengeance sans accrocs (ni cigare) après la scène apocalyptique de l'attaque du village.
Bragelonne n'a pas que des mauvaises idées (j'ai souvent entendu dire que la qualité ne rivalisait pas avec la quantité de leur production, mais ce n'est pas le genre de jugement auquel je peux m'avancer à adhérer), et cette intégrale des nouvelles autour du puritain (qui n'en est pas vraiment un) a de quoi réjouir le connaisseur autant que le profane. Elaborée par un spécialiste, Patrice Louinet, cette édition présente les textes bruts non censurés ni expurgés (quitte à faire grincer nos dents à certains mots), les poèmes, les illustrations de Gary Gianni (une recherche superficielle sur le net suffit pour se rendre compte que ce n'est pas n'importe qui) et des appendices regroupant des fragments d'histoires inachevées ou des versions alternatives de travail ("Les épées de la Fraternité", remaniement de "La Flamme bleue de la Vengeance", où Kane est rebaptisé Malachi Grim, est un cadeau inestimable pour le public français puisqu'il est publié pour la première fois et reste inédit partout ailleurs). La postface, "La Genèse de Solomon", m'a été d'une aide précieuse, comme vous pourrez le constater.
Le personnage de Solomon Kane a selon moi un potentiel important, dommage qu'Howard n'ait pas réussi a l'entretenir plus longtemps (en témoigne la dernière nouvelle, "Des bruits de pas à l'intérieur", tentative lovecraftienne ratée selon l'auteur lui-même, mais qui reste de qualité) ou qu'il n'ait pas été repris, même sous une autre forme. Ceci dit, une adaptation cinématographique réalisée par Michael J. Basset avec pour acteur principal James Purefoy (de circonstance pour jouer le rôle d'un puritain...) ne devrait pas tarder à arriver.
Solomon Kane - L'Intégrale, Robert E. Howard, Bragelonne, 22€. Traduction de l'américain par Patrice Louinet. Illustrations de Gary Gianni.
Solomon Kane - L'Intégrale, Robert E. Howard, Bragelonne, 22€. Traduction de l'américain par Patrice Louinet. Illustrations de Gary Gianni.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire