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dimanche 2 août 2009

Please stop staring at me: Freaks - De la nouvelle au film de Boris Henry


Depuis le temps que j'entendais parler de Freaks, la sortie de ce petit essai m'a enfin donné l'opportunité de me faire idée précise de son contenu. La nouvelle "Les éperons" ("Spurs", 1923. Inédite en français jusqu'à maintenant) de Clarence Aaron "Tod" Robbins, détail que j'ignorais jusque-là, fut à l'origine du film de Tod Browning. En intégrant la nouvelle (un lien est même donné aux puristes qui voudraient lire la version originale: http://www.olgabaclanova.com/spurs.htm), Boris Henry a permis ainsi au profane que je suis de tout appréhender dans la même foulée: la nouvelle, le film, sa place dans l'oeuvre de Browning (ouvrant sur d'autres de ses films) et la plus importante partie, l'analyse du film et de son rapport avec la nouvelle.

"Les éperons" est une nouvelle cruelle dont le personnage principal Jacques Courbé, nain résident du cirque Copo, se prend d'affection pour une Jeanne Marie, cavalière à la plastique de rêve. Jeanne Marie n'accepte le mariage que dans l'objectif de rouler Jacques, avec la complicité de Simon Lafleur. Mais elle avait oublié Saint-Eustache, le chien fidèle du nain. Le retournement final de ce conte noir et acide marque tellement l'esprit du lecteur qu'en 1932, Tod Browning en réalise une adaptation cinématographique qui fera beaucoup parler d'elle.

Jacques devient Hans, Jeanne Marie devient Cleopatra et Simon Lafleur devient Hercules. Ils se retrouvent dans une situation similaire à la nouvelle, c'est-à-dire ce triangle amoureux fait de faux semblants, de moqueries et de rancoeur. La vengeance finale est un dénominateur commun. Cependant, Freaks met en scène beaucoup plus de personnages qui serviront la vision personnelle de Browning. Les phénomènes du cirque Copo ne sont également plus les mêmes et n'ont pas la même fonction. Je préfère être évasif sur l'intrigue du film et me contenter de dire que l'analyse de Boris Henry relie pertinemment nouvelle et film. Les quelques thèmes développés par Browning, sont expliqués de manière théorique mais abordable à qui n'est pas forcément familier avec le jargon du cinéma. Henry appuie ses propos notamment sur une bibliographie solide autour de Freaks et de son créateur, mais aussi sur Le Dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant (chez Robert Laffont, collection "Bouquins), ouvrage de référence si l'en est.

Certains d'entre vous ignorent peut-être la particularité de certains des acteurs du film? Les "monstres" ne sont pas le résultat d'effets spéciaux. Les difformités sont réelles, les acteurs sont siamois, homme tronc, cul de jatte etc. Certains spectateurs de l'époque n'ont pas supporté la vue de ces physiques qui ne cadraient pas avec la machine à rêves holywoodienne. Sur le plateau de tournage, les acteurs "normaux" eux-mêmes ne jouaient pas un rôle de composition, mais rejetaient ces êtres humains que Tod Browning , impose à l'empathie des spectateurs. Qui sont les vrais monstres, en fin de compte? Le réalisateur s'est approprié "Les éperons" pour mieux soumettre cette problématique universelle de la nature humaine. La fin du film n'en est que plus redoutable.


Freaks - De la nouvelle au film, Boris Henry, Rouge profond, coll. "Raccords", 13€. Nouvelle traduite de l'américain par Jean Marigny.

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