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jeudi 30 juillet 2009

Alive but dead: Fantômes du jazz

Rendre hommage à des individus qui ont marqué la musique du XXème siècle, plus particulièrement le jazz, à travers des nouvelles teintées de fantastique (pas toutes, ceci dit) est une initiative plutôt alléchante. Les 22 auteurs francophones qui contribuent à ce recueil ont brodé chacun sur une icône dans une liberté de style favorable à la diversité, souhaitable pour ce genre d'exercice.

La Louisiane, sa magie vaudou et ses bayous s'invitent, avec en fond sonore la trompette de Satchmo dans "Louis et la nuit de l'alligator" de Daniel Walther.
Les distorsions du temps s'amusent au détriment des personnages dans "Le Piano des larmes" de Florence Maury et dans "Pleure pas, mon p'tit" de Jean Marigny (traitement, hélas, plus convenu et maladroit, à mon goût, que pour la première).
Le jazz russe, étouffé en temps de Guerre Froide, prend une respiration instructive dans "Tragedy in a minimalist style" de Marc Sarrazy.
Une joute verbale inédite entre André Gide et Vernon (alias Boris Vian) s'engage dans "Un boeuf au paradis" de Joseph Vebret et Eli Flory (hé hé ça fait donc 23 auteurs).
La réincarnation est abordée aussi légèrement qu'un accord de jazz manouche dans "Super Django" de Jérôme Pierrat.
"The Mezz's Adventures" de Marc Duffaud, est le questionnement longue durée d'un éternel second couteau blanc de peau mais noir de coeur. Un survol pertinent et fascinant du "siècle du jazz", expression qui me permet, au détour d'une phrase hop comme ça, mine de rien, de faire une allusion anticipative sur un article que je ne posterai pas avant plusieurs semaines.
"La Rivière et le fantôme" de Thierry Acot-Mirande et "Ode à A Love Supreme" de Daniel Darc se font un clin d'oeil, certainement involontaire, en évoquant les cris passionnés et déchirants qu'Albert Ayler laissa échapper, au milieu d'un morceau, aux funérailles de John Coltrane.
Quant à Robert de Laroche, dans "L'Île sous le vent", nous offre, avec comme complice Nat King Cole, un conte macabre digne d'un Lovecraft qui aurait trop lu de Stephen King (je sais c'est un bel anachronisme...inoubliable)

Dans l'ensemble, un très bon recueil avec quelques défauts minimes.
De petites biographies sur les auteurs ainsi que sur les artistes qui les ont inspiré sont regroupées en fin de volume. Les conseils discographiques s'adressent, c'est plutôt flagrant, aux néophites, alors qu'il est évident que ceux qui se sont jetés, se jettent ou se jetteront sur ce livre connaissent déjà les jazzmen et jazzwomen évoqués. Ceci dit on peut très bien apprécier les nouvelles autour de ceux qu'on ne connait pas tout en loupant deux ou trois choses qui en font le sel.
On regrettera que personne n'ait été inspiré par Charles Mingus, Eric Dolphy ou Scatman, mais si l'on va par là, non pas par là, il faut prendre l'ascenseur et changer pour la ligne 4 direction Cleveland, il faudrait faire un deuxième volume.

Fantômes de jazz, 22 histoires fantastiques présentées par Alain Pozzuoli, Les Belles Lettres, 21€. Préface de Julien Delli Fiori.

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