"Rana Toad", ça se mange?

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mercredi 13 mai 2009

Plage de Manaccora, 16h30. Philippe Jaenada

Voici ma deuxième incursion dans l’univers Jaénadien (pas ma dernière !) que j’avais découvert de façon assez unique telle que décrite dans mon dernier post sur Les Brutes.
Ici, on change d’univers pour rentrer dans un roman un peu plus classique que Les Brutes dans son format (pas de dessins et près de 300 pages de bonheur).
Mais de quoi ça parle ?
Durant ses vacances en Italie, un monsieur tout le monde quadragénaire se voit projeté dans une situation (quasiment inconcevable dans notre mode de vie) face à laquelle sa vie et celle de sa famille est en péril à cause d’un énorme incendie estival.
Alors 2 choses sont à savoir au sujet de ce livre :
1 : Ce n’est pas un livre à lire avant de partir en vacances en Italie (de façon totalement inopiné, j’ai achevé la lecture du livre une semaine avant de partir en vacances dans la province de Rimini (c’est vrai, j’ai 2 kilos de trop qui peuvent en témoigner). Ce hasard aboutit au fait qu’une lueur de panique, aussi incontrôlée qu’incomprise par ma compagne, s’installa dans mon regard lorsqu’au moment de se délasser devant une petite grappa bien méritée après une journée de délassement à la plage, elle lança un innocent « tiens les voisins font un barbecue !»)
2 : C’est un sacré bon bouquin.
Il n’est pas utile que je rentre dans l’histoire pour ne rien dévoiler même si l’auteur tue le suspense dans l’œuf dès le début du livre (on sait dès le début que cela finira bien), car là n’est pas le plus important.
La structure du livre est parfaitement adaptée au style de l’auteur. Narré à la première personne de façon très hyper immersive, le fil rouge du livre est la fuite du héros et de sa famille devant le feu. Les différentes situations qui se présentent devant le héros sont l’occasion pour lui de revenir sur différents moment de sa vie, dans le cadre de digressions (véritable partie centrale des chapitres) qui rythment parfaitement le récit. De façon intelligente, le titre des chapitres fait références aux digressions (un peu de la même façon que N.Gaiman dans Anansi Boys) et non à la trame de l’histoire. Avec sa verve, sa plume tellement réaliste qu’elle en est décalée, et son humour qui fait mouche, on est emporté par ce livre.
La montée en puissance de la perception du danger par le héros est particulièrement intéressante, surtout dans notre cadre de vie moderne ou la mort n’a pas de réalité tangible, (Tiens un feu…cool je vais pourvoir le raconter à mes potes en rentrant de vacances…Tiens, il est pas si loin que ca… Heu ca commence à sentir un petit peu fort la fumée, mais ou sont les pompiers?…On va pas devoir partir et tout laisser tout de même?... Vite, détalons on ne sait jamais… Heureusement qu’on est parti…Mais est-on assez loin ?... Mais il nous suit ce p----n de feu !!!... non mais je ne vais pas mourir tout de même, je suis en vacances !... je vais mourir, mais c’est pas possible !... je vais vraiment mourir !... je vais mourir, MOURIR ! est-ce que j’ai fait ce qu’il fallait dans ma vie ? etc.) et transforme graduellement l’inconcevable en inéluctable. Les réflexions sur notre rapport face à la mort et au danger sont particulièrement justes et subtiles, et elles sont totalement rendues imperceptibles au premier abord par le courant humoristique de bon mots (j’aurai même presque pu dire « l’air de pas y toucher, quoi » si je n’avais pas réutilisé « touché » dans la phrase d’après).
Ce qui m’a le plus touché (ici, là) dans ce livre est le style et le choix des mots qui sonne incroyablement juste. Comme j’avais déjà pu l’entrapercevoir dans « Les Brutes », l’auteur a un véritable don d’observation de l’être humain qui lui permet de faire émerger des réflexions et des pensées qui sont tellement mises « dans le mille » que plus d’une fois on se demande s’il a, oui ou non, vraiment couru devant un feu ou si, oui ou non, il s’est vraiment senti triste de la mort de sa crevette du Sénégal (à mon avis, pour ce qui est de la crevette, oui). Cette justesse donne l’impression que l’auteur a écris le livre pour celui qui le lit (« Ohhh il a raison, moi aussi j’ai pensé ça, et j’ai fait ça »), ca marche parfaitement et j’ai eu cette impression même si pourtant la fois ou j’ai frôlé la mort de plus près doit être celle ou je me suis retrouvé par hasard dans un Zara le premier jour des soldes.
Il n’est pas le premier à avoir traité de sujets tels que l’être humain moderne face au danger et si j’avais plus de culture (ce qui n’est évidement pas le cas (ou plus de temps, et si le firewall de mon employeur chéri ne m’interdisait pas Wikipedia)) je pourrais certainement vous donner une liste de livres qui abordent les mêmes thèmes, mais je pense qu’il est certainement celui qui s’en est le mieux tiré par rapport au message final. Il réussi à éviter le très habituel « La vie ce n’est pas ça, ce ne sont que de faux soucis, accordez de l’importance à ce qui est vraiment important, car la vie est courte », car il connait trop bien l’être humain pour cela.
Tout en douceur et en subtilité il nous fait comprendre que l’être humain n’est qu’un être humain est qu’il est inhérent à lui-même de se « prendre la tête » sur des futilités. C’est comme ça, c’est la vie et autant l’accepter et profiter de ses bons cotés.
Le message est presque le même, et pourtant cela n’a rien à voir.

Plage de Manaccora, 16h30 de Philippe Jaenada. 280 pages, 17,90€ Edité chez Grasset.

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