L'exercice de la nouvelle est périlleux. Peut-être que le pire pour un auteur c'est d'entendre un lecteur dire, une fois la nouvelle lue, "Et alors?", ce qui peut être interprété comme une frustration ("C'est tout? Il y a rien d'autre ensuite?") ou le manque d'incompréhension ("Mais où voulez-vous en venir?"). C'est exactement ce que je me disais quand j'ai lu mes premières nouvelles de Raymond Carver à l'université. Bien sûr, les cours de littérature américaine étaient là pour expliquer et les subtilités étaient révélées. Mais quand j'ai voulu comprendre par moi-même en enpruntant un recueil de Carver, rien à faire, ça restait un peu hermétique (j'ai souvent été tenté de surnommer Carver "Monsieur Tupperware"). Peut-être qu'il faudrait m'y replonger, ce n'est peut-être qu'une question de bagage culturel.
J'ai laissé derrière moi quelques extraits des nouvelles de Fabien Pichon, une sorte d'avant-goût à mon article. J'espère qu'ils n'ont pas eu le mauvais effet d'une bande-annonce qui révélerait les meilleurs passages, gâchant ainsi toute surprise.
La première nouvelle que j'ai lue des Grands espaces, "L'Agneau" m'a laissé une impression de plénitude, elle se suffit à elle-même. On appréhende cette tranche (no pun intended) de vie dans son intégralité et sa fin interrogative, paradoxalement, n'appelle pas de réponse. Je me suis donc procuré l'ouvrage pour voir si je pouvais retrouver la même chose dans les autres récits.
"L'agneau" est précédée de ce que les Anglo-Saxons appellent une short-short-story, seules quelques lignes sensées dire beaucoup. "Gravitations" se lit et se relit, un sourire au lèvres, car, homme ou femme, cette situation peut arriver plusieurs fois par jour à n'importe qui. Une autre short-short-story, intutilée "Tous les matins près de toi", montre la même ironie en seulement trois lignes courtes.
Une "trilogie" (selon l'auteur lui-même une "trilogie familiale tragi-comique mais pas seulement, heureusement") faitse de souvenirs d'enfance autour d'un monsieur catastrophe en guise de figure paternelle, nous raconte tour à tour la visite d'un bar d'un enfant de cinq ans ("Courage!), un voyage en Italie écourté ("Kojack") et une visite aux Urgences (hélas, sans Carol Hattaway et "ses adorables frisettes").
Beaucoup de ces nouvelles parlent de l'absence et de ses conséquences ("L'ampleur du désastre", "Une Toile de Hopper", "Des pas sur le graviers"), d'amours perdus et presque retrouvés ("Belle de jour", "Rechute" et son ambigu heel turn, expression issu d'un jargon peu approprié mais c'est à quoi j'ai pensé à la lecture de cette dernière) ou de choix radicaux faits par des gens ordinaires ("Les Grands espaces", "Le Grand saut").
Le dénominateur commun de tous ces petits séismes ou "frémissements" intérieurs est cette écriture que l'on sent hantée par un certain perfectionnisme qui touche sa cible la plupart du temps (voir les extraits recopiés dans la catégorie "Citations"), mais qui, rarement, m'a laissé perplexe (la deuxième partie de "L'envers du décor" en est l'exemple le plus représentatif à mes yeux). Les dialogues sont simples et sans fioritures ni répliques que l'on sent parfois forcées ailleurs. La poésie mélancolique qui imprègne le recueil nous éloigne de cette mode trash-intello complètement inutile qu'on a la malheureuse occasion de lire parfois.
Une mention spéciale pour "Rendez-vous", le quoditien urbain et ses mystères, et surtout "Une Toile de Hopper", tout simplement bouleversante.
Il aurait été préférable que ce recueil soit édité par un éditeur un peu plus suceptible de bénéficier d'une meilleure diffusion.
Je tiens à préciser que cet article est très particulier, puisque j'ai eu la chance de correspondre avec l'auteur (qui sera certainement l'une des premières personnes à le lire...) et que je me suis beaucoup aidé de cet échange de mails pour la rédaction de ces lignes. On aura même peut-être la chance de voir apparaître d'occasionnels articles et interventions puisque Fabien Pichon a accepté mon invitation pour être contributeur.
Pour de plus amples informations, visitez donc sa page Myspace: http://profile.myspace.com/index.cfm?fuseaction=user.viewProfile&friendID=427765849
J'ai toutefois une dernière question à adresser à Fabien, désespérément tiraillante, y a-t-il vraiment un "c" à "Kojack"?
Les Grands espaces, Fabien Pichon, L'Harmattan, 16€.
2 commentaires:
article très intéressant et traité en profondeur :] je me procure le livre, et je te dirai ce que j'y ai vu..
Bonjour,
Si vous souhaitez rencontrer l'auteur de ce magnifique recueil de nouvelles...
Fabien Pichon sera à la librairie Gibert Joseph de Toulouse le 25 avril 2009 à partir de 15h au rayon littérature.
A bientôt,
Librairie Gibert Joseph
3, rue du Taur
31000 Toulouse
05 61 111 777
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