Fredericks se redressa, releva le menton, joua le même morceau. Claude ne savait à quoi s'attendre et fut un moment déconcerté lorsque Fredericks joua en mettant environ la moitié du volume que Claude avait donné. Au premier abord, cela semblait trop doux, et Claude se demanda q'il s'agissait d'un procédé pédagogique particulier. Mais soudain, tandis que les lignes s'écoulaient, Claude perçut le contrôle exquis avec lequel Fredericks libérait la musique dans l'air. C'était surnaturel. le piano sembla disparaître, seules les lignes emplirent la conscience de l'enfant, l'architecture de la musique éclairée dans ses moindres détails, l'annonce entière scellée, flottant, se repliant sur elle-même. Puis le silence. Claude souffrit devant une telle beauté. Il eût voulu quitter son corps, suivre la musique là où elle s'en était allée, dans l'hyperespace, quel qu'il fût, qui l'avait avalée. Fredericks tourna la tête, l'enfant plongea ses yeux dans les siens et demeura immobile, le souffle coupé, comme si son regard pouvait ramener la musique.
Corps et âme, Frank Conroy, Gallimard. Traduit de l'anglais par Nadia Akrouf.
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