"Rana Toad", ça se mange?

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mardi 9 mai 2017

  Bossu jouait de la flûte, la cour était tout ouïe. Il jouait doucement, pour lui-même. Des bourrasques faisaient tournoyer les feuilles qui terminaient leur ronde folle dans les flasques. Et tout s'arrêtait. Détrempées, elles se transformeraient peu à peu en boue, puis retourneraient à la terre.
  Doucement, tout doucement, les doigts fins de Bossu couraient sur les trous, alors que la brise lui caressait le visage; au fond de la poche arrière de son pantalon, quelques pièces de monnaie tintaient, ses chevilles nues étaient glacées et sa peau, hérissée de chair de poule. Qu'il était bon d'avoir entre les mains un morceau de bois chantant, capable d'apaiser et de bercer, simplement parce qu'on le lui demandait.
  Une feuille vint se glisser sous sa semelle. Puis une autre. S'il restait ainsi plusieurs heures, sans bouger, la nature finirait par l'inclure dans son cycle, sans doute parmi les arbres. Les feuilles s'amoncelleraient sur ses racines; les oiseaux, perchés sur ses branches, saliraient son col: la pluie creuserait en lui des millions de sillons: le vent lui enverrait du sable dans les yeux. Le garçon s'imagina en homme-arbre et se mit à rire, le visage un peu tordu.

La Maison dans laquelle, Mariam Petrosyan, Monsieur Toussaint Louverture. Traduit du russe par Raphaëlle Pache. 

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