Si je ne me trompe pas, le dernier auteur mexicain que j'ai lu avant celui-ci, c'était Juan Pablo Villalobos et son Dans le terrier du lapin blanc, une farce pétrie d'un féroce humour noir dissimulant, sous la naïveté d'un gosse (pour les québécois qui me lisent, chez nous, un gosse c'est un enfant) une dénonciation de la violence universelle. David Toscana, avec son Armée illuminée, nous offre un Mexique moins sombre, moins violent. Quoique...
Ignacio Matus, marathonien acharné est aussi un instituteur nostalgique d'une époque ou le Texas était encore mexicain. Considérant ses contemporains comme apathiques et indignes de leur valeureux aïeux, ils tentent d'inculquer à ses élèves le sens du devoir et l'esprit guerrier du Mexique qu'il regrette tant. Mais cela lui vaut le renvoi de son poste un mois seulement après la rentrée scolaire, le directeur jugeant ses propos trop subversifs. Dépité mais pas tout à fait vaincu, il se place au coin d'une rue dans le but d'enrôler des disciples, affiche de propagande à l'appui, qui seraient eux aussi animés par la reconquête du Texas.
De son côté, le rondouillet Comodoro, élève de Matus (sans être père et fils, ils vivent ensemble, pour des raisons qu'on ignore, adoption peut-être) et adepte à sa cause illusoire réussit à embrigader quatre camarades: le mutique et endormi Cerillo, Ubaldo l'artiste, l'intrépide El Milagro et Azucena, la fille du groupe, parce qu'il faut toujours une fille. En route, mauvaise troupe, les voilà partis, persuadés de leur future victoire.
La majeure partie du roman se passe en 1968, mais en 1924, Matus a participé au grand marathon de Paris. Participé à distance en vérité, dans son coin, en presque parfaite synchronicité. Son exploit nous est raconté en alternance avec l'escapade de 1968. Sa rivalité, elle aussi à distance, avec le gringo Clarence DeMar va s'étirer sur ces 44 ans. Quelques rares pages se déroulent de nos jours pour apporter une certaines lumière aux événements.
Vous aurez compris qu'on est en plein décalage. Ignacio Matus est à côté de la plaque à la façon, c'est l'évidence même, d'un Don Quichotte ou d'un Ignatus Reilly. Son délire éveillé contamine ces cinq ados avec des idéaux qui ont perdu leur force. Cette contamination est rendue par l'écriture de David Toscana de façon irresistible. Les situations les plus badines prennent, aussi bien pour Matus que pour ses disciples, des proportions épiques. L'exemple fil rouge est qu'il faut sacrifier, d'une façon ou d'une autre Comodoro. Et les autres ne manqueront pas d'imagination. Cerillo est aussi au centre des pages les plus drôles, sa mère y étant pour beaucoup car elle entre totalement dans le délire.
Dans Les Aventures d'Huckleberry Finn, Mark Twain a beacoup taclé Walter Scott, lui reprochant de faire une littérature pervertie et mauvaise pour la jeunesse. De glorifier tout ce que le Sud des Etats-Unis avait de corrompu. A tout bien y réfléchir, c'est peut-être ce que fait Matus du côté mexicain et à son échelle. Finalement, L'Armée illuminée n'est pas si éloigné de Dans le terrier du lapin blanc. La violence n'est pas imposée à l'innocent de la même façon, mais le résultat est le même. Matus n'est pas aussi dangereux qu'un parain de la mafia, il est même plutôt attachant. Le lavage de cerveau qu'il impose à ses élèves ne semblent pas porter à conséquence. Au pire, ses élèves finissent comme lui par se convaincre de fausses affirmations (El Milagro, face à son impuissance à compter, conclut définitivement que 11 fois huit font 42). Et pourtant, les séquelles de cette bataille qui n'a en fait pas lieu sont plus profondes que le ton du roman peut le laisser paraître. Toscana enfume tellement son lecteur avec les fantasmes morbides mais drôles de ses personnages, qu'il est difficile de déterminer avec certitude si la fin est tragique ou pas.
L'Armée illuminée, David Toscana, Zulma, 21€. Traduit de l'espagnol (Mexique) par François-Michel Durazzo.
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