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mardi 29 septembre 2009

Eddie, Are You Kidding?: Iron Maiden - L'épopée des Killers (Mick Wall) et Morceaux d'esprits (Jean-Philippe Petesch)

A la question : quel groupe selon vous définit le heavy metal? Certains diront Black Sabbath d’autres Metallica. D’autres encore Manowar ou Limp Bizkit, mais faut-il en vouloir aux plaisantins? Personnellement, et en toute objectivité, je pense qu’Iron Maiden serait au moins deuxième au classement, à défaut d’être premier.

L’épopée des Killers est ce que l’on peut appeler une biographie officielle et autorisée, Mick Wall étant un proche du groupe. On ne pourra bien sûr jamais évaluer, au mieux, la réserve, au pire, la censure et/ou l’auto-censure qu’elle suppose. Elle inclut cependant un enthousiaste avant-propos de Steve Harris, le bassiste-leader.

La démarche de Wall fait part de la diversité des points de vue, par le biais d’interventions issues de nombreuses interviews, et crée donc une mosaïque, peut-être imparfaite mais resserrée autour des événements et des personnes qui ont fait avancer le groupe depuis 1975.

Les chapitres suivent la chronologie mais prennent souvent la forme d’une mini-biographie d’un des musiciens ou d’une personne ou personnage lié au groupe : le manager, la mascotte Eddie ou son créateur Derek Riggs. Mick Wall n’oublie pas Martin Birch, dont le CV, déjà impressionnant (In Rock de Deep Purple, c’est déjà beaucoup, non ?) avant Killers, porte la prestigieuse mention : 1981-1992 producteur exclusif d’Iron Maiden.

Est-il étonnant de voir les deux premiers chapitres intitulés respectivement "Steve" (Harris) et "Dave" (Murray)? Le bassiste et le guitariste sont en effet les deux seuls membres actuels présents sur les 14 albums. En outre l'intégration de Dave Murray est sans doute l’un des premiers pas primordiaux dans l’histoire d’Iron Maiden, tout à fait en concordance avec la perspective annoncée par Mick Wall dans son Introduction.

Une impression, souvent partagée, ressort des interventions orales des protagonistes au fil des pages, celle d’avoir souvent trouvé la bonne personne, d’avoir fait le bon choix pour le groupe. Même quand il s’agissait de se séparer d’un musicien c’était surtout pour ne pas traîner un poids mort et les intéressés ont toujours semblés être compréhensifs et conscients de leurs dérapages.
Bruce Dickinson, considéré par beaucoup comme l’emblématique chanteur d’Iron Maiden, y apparaît sans doute comme l’individu le plus complexe de la formation britannique. Diplômé en histoire, écrivain, animateur radio, pilote de ligne et j’en passe, pas étonnant que cet électron libre avait déjà envisagé de quitter Maiden dès 1986. Le début d’une carrière solo en 1990 annonçait déjà un peu son départ en 1993, épisode certainement le plus difficile pour Steve Harris, le capitaine du bateau qui n’a jamais renoncé à la moindre avarie. A tel point qu’ « il semblerait […] que seule [sa] mort puisse mettre un terme à cette aventure musicale », citation empruntée à Jean-Philippe Petesch mais qui résume bien ce que tout fan du groupe est
susceptible d’avoir cru à chaque changement de line-up.

Machine bien huilée, Iron Maiden est l’un de ces groupes qui n’a jamais splitté et, même si l’écart s’est creusé peu à peu, a continué à sortir régulièrement ses albums sans se fier aux tendances. Le punk ? Quelque chose dont il fallait se démarquer sous peine de disparaître très vite. La Nouvelle Vague du Heavy Metal Anglais? Oui Maiden en faisait partie, ils en étaient même le groupe le plus populaire mais que reste-t-il vraiment, exception notable de Saxon, de cette Nouvelle Vague aujourd’hui ? D’après Steve Harris ce n’était qu’un gimmick de journaliste et, sans pour autant la dénigrer, considérait que son groupe n’avait pas grand-chose à faire là-dedans.
Mick Wall s’attarde sur le rôle qu’a joué et joue encore Rod Smallwood, le manager, créateur de la boîte de management Sanctuary. Personnage haut en couleur, fabuleux et intraitable négociateur, il est au moins aussi important que Steve Harris. Iron Maiden lui doit bien plus que le gimmick de journaliste déjà évoqué. Un exemple? C’est lui qui a repéré cette affiche de jazz illustrée par un certain Derek Riggs (qui cessera sa collaboration avec Maiden dès 1992), a demandé à le rencontrer et est tombé nez à nez avec cette créature qui allait être nommé Eddie The ’ead.

Mort-vivant omniprésent, figure paradoxale puisqu’elle est indissociable d’Iron Maiden mais aussi porteuse de contresens et d’idées reçues dans l’esprit du grand public vu la violence qu’elle inflige ou qu’elle subit au fil des pochettes et autres T-shirts, Eddie méritait bien aussi un chapitre à lui tout seul. The Head était l’un des premiers gimmicks des concerts donnés par le groupe et le prénom vient d’une blague que j'avais déjà eu l'occasion de lire à dans une interview, à l’occasion de la sortie du Best Of The Beast.

Au fil de la lecture, chaque fan, quelque soit le degré de son addiction, trouvera quelque détail qu’il ignorait jusque là. Combien savent par exemple que Nicko est un surnom donné au batteur durant sa carrière pré-Maiden? Et combien encore en connaissent les circonstances?

Certainement la traduction d’une version augmentée de Run To The Hills. The Authorised Biography of Iron Maiden (parue initialement en 1998), L’épopée des Killers voit la plume de Mick Wall s’arrêter avec le chapitre 15, déjà retravaillé puisqu’il s’attarde sur le retour de Dickinson et Smith (qui n’a eu lieu qu’en 1999, je le rappelle). Les quatre derniers chapitres ne peuvent être considérés que comme une maladroite mise à jour, du bonus en totale incohérence dans le ton avec tout ce qui précède. Mais peu importe, ils ne sont pas sans intérêt, en témoigne notamment une dissection (non, pas celle d’Eddie, on nous a déjà fait le coup en 1995) des albums Brave New World et Dance Of Death. Et puis, on ne peut blâmer cette biographie d’être incomplète tant qu’Iron Maiden continue son p’tit bonhomme de chemin.



Morceaux d’esprit est, quant à lui, le résultat d’un travail universitaire, fait seulement détectable à première vue par le sous-titre, et, dans sa forme, est une présentation systématique et chronologique des chansons de chaque album du groupe, jusqu’au dernier en date, A Matter Of Life and Death.

Auparavant, les cent premières pages ont été consacrées aux précisions que tout effort universitaire est en droit d’attendre : remerciements, introduction, présentation du corpus, documents d’appui, glossaire et liste des thèmes et références.

Pour dégager les thèmes, l’auteur a eu recours, avec les faiblesses que cela suppose, à une recherche informatique par occurrence des mots. Bien que quelque peu alourdie de chiffres, elle n’a pourtant pas été inutile et c’est une approche méthodologique que l’auteur était quelque part obligé de rendre compte, un premier pas pour constituer une cohérence du "discours" (un des termes du glossaire) entre les albums d’Iron Maiden. Pour la bonne cause donc. Petite précaution générale de l’auteur, il insiste sur l’aspect subjectif de ses interprétations (celle d’"Iron Maiden", est à retenir) et appelle à prendre tout autant en considération celles qui ne seront logiquement pas mentionnées.

Quelques thèmes sont attendus puisque fréquents dans le heavy metal (la mort, la guerre, l’occultisme…) mais leur traitement n’aura qu’un seul but, démontrer qu’Iron Maiden ne les a jamais utilisés par provocation ou gratuitement. Petite parenthèse sur le sexe et l’amour, thèmes clichés par excellence, ils seront démontrés presque inexistants dans le "discours" du groupe, sinon à quelques petites exceptions, "saga Charlotte" en tête, mais aussi parfois avec un sérieux inhabituel sur les sujets ("Wasting Love" est l’exemple le plus représentatif).
Suit la présentation des références directes, qu’elles soient historiques ("Run To The Hills", "Alexander The Great"…), bibliques ("The Number Of The Beast"), mythologiques ("Flight Of Icarus"), littéraires ("The Rime Of The Ancient Mariner", "Brave New World ") ou cinématographiques ("Man On The Edge", "The Wicker Man"). Bien que certaines références soient évidentes, ne pensez pas que l’auteur enfonce les portes ouvertes en ne faisant que rappeler leur provenance. Elles seront par la suite développées et l’on verra qu’elles sont rarement utilisées telles quelles, servant ainsi de base acceptant habiles modifications et détournements opérés par les différents paroliers.
Jean-Philippe Petesch nous offre parfois d’agréables bonus et je ne peux omettre l’enrichissante explication de texte de "Revelations" (extrait d’une interview de Bruce Dickinson dans Enfer Magazine n°8, décembre 1983, placée en note de fin de chapitre). Entre indéniablement dans cette catégorie l’intervention extérieure d’Emmanuel Haeussler, interlude de trois pages, qui propose un parallèle inattendu dont je vous laisse la découverte.
Cette richesse intertextuelle, inaperçue du grand public, contribue grandement, et en toute objectivité, a démontrer l’originalité du groupe de Steve Harris. Mais, détrompez-vous, le corpus étudié recèle plus que des références à des œuvres déjà existantes. Certaines paroles se basent sur le statut du groupe au fil des années qu’ils soient adulés ("Powerslave", lors de l’âge d’or éprouvant des années 80) ou critiqués ("Virus", réponse acide aux journalistes anti-Bayley). Les préoccupations humaines et contemporaines ne passent pas à la trappe, elles sont même associées à un questionnement beaucoup moins superficiel qu’on pourrait le penser. En témoignent la cohérence thématique et introspective des albums The X-Factor et A Matter Of Life And Death. "Afraid To Shoot Strangers", inspiré par la guerre du Golfe, est un de ces titres mal compris dont le plus célèbre reste "The Number Of The Beast", qui ne serait qu’une transposition d’un rêve de Steve Harris. Première composition de Nicko McBrain, "New Frontier", prend, elle, une position controversée sur le clonage etc. Sans être un groupe adepte des protest-songs, quelques morceaux d’Iron Maiden peuvent entrer dans cette catégorie ("Run To The Hills", "Holy Smoke", "Fear Is The Key" ou encore "Childhood’s End").
Même si je pense qu’aux yeux des trois quarts des fans, ce qui prime c’est l’instrumentation des morceaux et des atmosphères qu’elle transcrit, la question du didactisme des paroles, voulue ou non, est très pertinente, tout autant que la distinction entre "fan" et "afficionado" (il est bien évidemment permis de penser qu’il existe des nuances) établie dans le glossaire. Grâce aux mélodies et la voix de Bruce Dickinson (si vous êtes sceptiques, faites donc la comparaison entre les versions studios et live de "Phantom Of The Opera" et "The Clansman"), les chansons de Maiden selon moi parlent plus aux tripes qu’à l’intellect. Ce qui ne signifie pas pour autant que les interprétations de Jean-Philippe Petesch ne m’ont rien apporté, bien au contraire. J’ai refermé le livre avec satisfaction, content d’avoir pu lire une mini-encyclopédie intégralement consacrée à un groupe de cette envergure.

Note: Les deux ouvrages sont séparément chroniqués, agrémentés de digressions, remarques personnelles et autres réflexions politiques de bistrot sur le blog M3tal Earth:
http://m3talearth.canalblog.com/archives/2009/09/29/15253198.html
http://m3talearth.canalblog.com/archives/2009/09/29/15253242.html
Merci à Taly et à Camion Blanc.

Iron Maiden - L'épopée des Killers, Mick Wall, Camion Blanc, 2005, 32€. J'aurais aimé mentionné le traducteur mais...
Iron Maiden - Morceaux d'esprit: Thèmes et origines des chansons de la Vierge de Fer, Jean-Philippe Petesch, Camion Blanc, 2008, 32€.

1 commentaire:

Morgane Vasta a dit…

merci pour cet article complet et très intéressant :}