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mardi 16 juin 2009

America's Least Wanted: Moi, Fatty de Jerry Stahl

Roscoe Arbuckle. C'est un nom, dans l'histoire du cinéma muet, dont la résonance est bien plus faible que d'autres. Même mentionné par son surnom, Fatty, le personnage ne provoque pas la même réaction que Charlie Chaplin. Et pourtant il fut le premier acteur à toucher un salaire d'un million de dollars par an. Jerry Stahl nous a rappelés au bon souvenir de Roscoe avec ce Moi, Fatty (publié à l'origine en 2004 mais chez Rivages en 2007), en adoptant la biographie (à peine) romancée. Je pourrais même dire (auto)biographie vu que le récit est à la première personne.

En raison de sa corpulence, son père le reniera et le méprisera et ce dès sa naissance. Ensuite ce même père passera très vite à la vitesse supérieure en le battant, l'humiliant et allant jusque l'accuser de la mort de sa mère. Cette figure paternelle, qui lui donnera son surnom de Fatty (entre autres), est la première mine anti-personnelle de Roscoe. Il n'est alors pas surprenant que ce dernier abhorrera le nom de scène qu'on lui imposera. Ses premiers succès il les connaîtra avec le music-hall, dans diverses troupes et compagnies, un milieu où à cette époque le cinéma avait plus que mauvaise réputation. Il se lancera lui même dans ses premiers films à contrecoeur, pour arrondir ses fins de mois.

Mais j'abrège et je passe sur ses années de succès pour aborder le noeud du roman et de sa vie, le scandale qui fit de lui l'homme le plus haï des Etats-Unis à partir de 1921. Une soirée qui a mal tourné avec l'aide de l'alcool et de mauvaises fréquentations. Une situation aux circonstances dignes des films burlesques qu'il tournait et qui aura un goût bien plus amer que la tarte à la crème. Accusé à tort de viol et de meurtre, diffamé dans les journaux (photomontages, fausses déclarations et affirmations détournées à l'appui), et boycotté violemment, voici une plongée en caméra subjective dans son enfer jusqu'aux excuses sincères du jury (sans précédent à l'époque) lors de son troisième procès.

Je suppose que l'auteur s'est beaucoup documenté et que les nombreuses anecdotes doivent avoir une base historique. La personnalité même de Roscoe, naïve et sincère, semble être véridique dans un tel plaidoyer en sa faveur. Peut-être que des connaisseurs me confirmeront, n'hésitez pas mesdames et messieurs, mes articles sont imparfaits et ne demandent qu'a s'enrichir de vos précisions et commentaires sur des sujets que j'aborde sans avoir été au plus profond.

Le roman est bien sûr truffé d'apparitions de célébrités de l'époque, connues et moins connues, dont Buster Keaton (le seul ami fidèle, exception faite de Okie, domestique japonais de Roscoe), Charlie Chaplin (la rivalité fut semble-t-il bonne enfant et sans véritable rancoeur) et à mon grand plaisir certaines que j'avais déjà croisées dans une lecture récente (Swing de Jean-Yves Chaperon): Jack Johnson, Jack London et Caruso. Mais la particularité la plus attachante de Moi, Fatty est le ton du narrateur. Parfois émouvant à vous arracher des larmes (les pages racontant le soutien de sa première femme notamment), parfois d'une amertume teintée d'un humour désespéré même dans les pires moments de sa vie. Il est difficile de ne pas compatir avec un être humain si gratuitement détruit. Une réhabilitation posthume qui a sa place dans la bibliothèque des amateurs du cinéma muet, mais pas seulement.

Dernier petit chipotage, pourquoi donc classer l'ouvrage en "thriller"? Roman noir, je veux bien... mais est-ce que le terme "thriller" ne se compose pas de connotations complètement étrangères à ce que je viens de lire?

Moi, Fatty , Jerry Stahl, Rivages, 20€. Traduit de l'américain par Thierry Marignac.

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