"Rana Toad", ça se mange?

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dimanche 27 janvier 2013

L'air était devenu suffocant de souvenirs, il nous fallait lutter pour respirer à fond, et à chaque inspiration nous absorbions une bouffée de souvenirs supplémentaires. Tout le monde se souvenait. Des enfances dévalaient les escaliers et des agonies s'installaient dans nos lits. Dissimulées dans la poussière de nos appartements stagnaient de minuscules particules de peau dont nous nous étions débarassés parfois des années, parfois seulement quelques jours plus tôt. Ces particules se mirent à se joindre les une aux autres, tant et si bien que nous vîmes nos anciennes apparences se couler en nous et hanter nos corps, fantômes de peau qui avaient retrouvé cet être qu'ils avaient quitté. Papa, agile dans l'immobilité, était le seul à enjamber ces histoires avec grâce, à danser autour de ces histoires qui le tiraient par les chaussettes pour l'entraîner avec elles. Il y réussissait en se vidant la cervelle, en atteignant cette immobilité intérieure parfaite dans laquelle il n'y a pas de pensées, où les souvenirs étouffent.

L'Observatoire, Edward Carey, Phébus, coll. "Libretto". Traduiit de l'anglais par Muriel Goldrajch.

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