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lundi 12 avril 2010

...as soon as you're born, you're dying: Aube & Crépuscule (Anthologie Griffe d'Encre)


Troisième anthologie publiée en décembre 2008 par les éditions Griffe d'Encre, Aube & Crépuscule, sous un titre déguisé en métaphore, s'attache à faire cohabiter l'enfance et son extrême opposé. Avec un sommaire un peu allégé, seulement 11 nouvelles, l'ensemble n'en présente pas moins la cohérence à laquelle Magali Duez, directrice de la collection, nous a habitués.
Encore une fois, la liste des signatures s'équilibre entre auteurs-maisons (étant donné qu'ils apparaissent déjà soit dans une anthologie précédente ou dans une autre collection) et d'autres publiés pour la première fois par Griffe d'Encre à ce moment-là (je ne doute pas que certains d'entre eux sont apparus autre part, mais je ne me suis pas renseigné).

Commençons par ces nouvelles arrivées.
Dans "Lasthour.com", Philippe Guillaut nous propose une société ou le vieillissement et la mort ne signifient plus grand-chose, une société où le loisir sous ses formes les plus abouties, et souvent virtuelles, prédomine. Mais Charles B. Aupick se sent blasé, ne s'amuse plus et sa recherche d'une expérience différente le mènera à une décrépitude volontaire et payante. Un style sans défauts majeurs et quelques traits d'humours réussis ne m'empêchent pas de penser que quelques coupes étaient préférables.
Alice aux pays des Merveilles est sans aucun doute l'une des œuvres littéraires les plus reprises, utilisées et réutilisées, ç'en est parfois irritant. Mais je ne cracherai pas ma bile aigrie dans un discours anti-marketing. C'était juste pour introduire la très bonne nouvelle d'Elisabeth Ebory, "Echiquier, tasses, théière et passoire enchantée" où Alice a choisi de vieillir et non plus demeurer dans cet état éternel de personnage littéraire mondialement reconnu. Une sympathique tasse de thé partagée avec la Mort elle-même et quelques trouvailles qui égaient le cerveau des lecteurs les plus réceptifs. Crossover d'autres mythes et légendes de la littérature imaginaires qui sait parfaitement éviter d'être raté. A noter que Griffe d'Encre a publié trois mois après Aube & Crépuscule, un recueil de la même plume intitulé A l'orée sombre, qui aura, soyez-en sûrs, droit à quelques lignes sur ce blog.
L'enfant-narrateur de "Vivre" (Christian Simon), est atteint d'hypermnésie (mémoire plus qu'exceptionnelle) mais il est aussi le seul à discerner toutes ces créatures fantastiques qui peuplent le quotidien de son entourage. Parmi ces créatures, il y a Mnashtai, insecte géant et rampant qui lui enfonce son dard dans le front chaque nuit. Une tumeur se développera et forcera le personnage à faire un choix difficile. Une nouvelle faussement tragique et d'une puissante poésie.
Julien Simon a préféré dans "Le Chemin du retour" de prendre le point vue original d'un vieux singe, Babu, qui a perdu depuis longtemps son statut de mâle dominant dans cette immense cage de fer dressée pour protéger ses congenères des braconniers. Mais Babu ressent un besoin de liberté va trouver une faille pour s'enfuir et partir à la recherche d'une ancienne légende su Peuple singe. Dans son ensemble une bonne nouvelle avec une fin que j'ai beaucoup aimée (même si elle est très classique), mais j'ai envie de reprocher à l'auteur un anthropomorphisme un peu trop facile et quelques scènes peu crédibles.
Petite perle de short short story anglo-saxonne signée Bruce Holland Rogers, "Dinosaure" (traduit de l'anglais par Lionel Davoust) raconte sur une seule page l'existence dans sa presque intégralité d'un personnage pas trop sûr de sa nature. A lire et à relire. Un bel exemple de concision littéraire efficace.
Je passe sans transition aux "auteurs-maisons" dont j'éviterai tout comparaison avec les nouvelles déjà parues (qui seront tout de même rappelées à votre bon souvenr entre parenthèses), chacun d'elles se suffisant à elle-même.
"Tiger Moth" (traduit de l'anglais par Fred Le Berre) de Graham Joyce ("Poussière de charbon", in Elément I: La Terre) a l'honneur de débuter l'anthologie et aborde la nostalgie d'une enfance perdue. On n'aucun mal à sympathiser avec cet avocat célibataire qui vit toujours avec sa mère. Une rencontre de sa jeunesse est au centre de la nouvelle. Commence avec une scène (que je vous laisse découvrir) dont l'absurde est typiquement anglo-saxon, dommage que ce soit la seule.
"Parfum d'étoiles" ne mérite certainement pas le sort d'un précédent effort de Jeanne-A. Débats que j'avais en partie mal interprété ("Fata Organa", in Elément I: La Terre, coucou Alix!). Dans un village d'Afrique où le colonialisme fait encore sentir quelques relents, la mort d'un jeune suite à un incident va transformer l'ambiance du quotidien. Raconté à la première personne cette histoire aux descritptions colorées et parfumées, rend compte d'une tension et d'un tragique palpables. Une dimension mythique est ajoutée par l'explication finale que j'aurais préféré plus ambigüe: sans alourdir le texte, elle est un peu trop explicite. Petite note supplémentaire: en plus d'une nouvelle sur le très prochain Elément II: L'Air, Jeanne-A. Débats verra publié dans le courant de l'année son recueil Stratégies du réenchantement, qui a d'ores et déjà sa place réservée sur ce blog.
Je range "Gentille Mamie" d'Hélène Cruciani (qui avait déjà publié son roman Expéron en février 2008) dans la même case que "Lasthour.com". Egalement trop longue, mais dans un style parfaitement lisible et même agréable. L'histoire tourne un peu autour du pot pour finir sur une révélation qui tombe malheureusement à plat. Impression regrettable, puisque des thèmes universels comme la famille et la mort y sont bien traités. Que mon avis ne vous influence pas.
"Mes vacances à la campagne" de Michaël Fontayne ("Miroitements", in Ouvre-toi!), joue la carte d'un faux réalisme comique qui fonctionne très bien. On se demande à quel moment la nouvelle va nous sortir la carte de l'imaginaire. Sans gâcher la fin, on se doute bien qu'il peut s'agir d'une rédaction d'enfant, ce n'est pas totalement imprévisible. Mais il faut avouer que la fin est bien trouvée, même si elle repose sur des thèmes classiques que je vais omettre de vous citer. Agréable et réussie.
J'ai été pris agréablement à contre-pied par "Couleur d'automne" d'Antoine Lencou ("Ah, La Porte!", in Ouvre-toi!). Tout commence avec plein de gadgets purement S.F. et ces premières pages me faisaient craindre une déception. Mais la sortie d'Andryn et la retrouvaille entre copains autour d'une partie de pétanque rafraîchit le tout. Bonne idée de la part de l'auteur de simplifier le ton, de faire paraître les machines et autres automates comme envahissants et tyranniques.
Et comme je suis un adepte du "meilleur pour la fin"... "L'Abattoir aux Marmots" de Jérôme Noirez ("L'Apocalypse selon Huxley", in Ouvre-toi! et surtout l'incontournable Diapason des mots et des misères) conclut logiquement cette chronique. Qu'attendre de Jérôme Noirez désormais? De la qualité évidemment. Une qualité un peu cradingue parfois mais tellement bien formulée. Le titre me faisait craindre une nouvelle borderline comme je n'aime pas trop, mais même si quelques passages sont plutôt durs pour les âmes sensibles, j'ai lu une excellente extrapolation anti-militariste qui ne recule pas devant le risque de choquer par la description de cadavres... d'enfants. La fantaisie et le jeu y ont leur place mais ils servent une violence crue et non gratuite pour dénoncer ce qu'il y a de plus obscène sur cette planète. Ce thème récurrent chez Noirez de l'enfance détruite et torturée n'est pas sans susciter quelques interrogations.
Avec une majorité de textes d'une qualité irréfutable (les imperfections décelées sont bien relatives et très subjectives, faites-vous votre propre opinion), Aube & Crépuscule continuait à l'époque de sa sortie, et dans un bel élan, à étoffer la collection "Anthologie" (et remplir ma bibliothèque). La volonté de proposer les meilleurs textes possibles autour de thèmes choisis est le critère principal à l'élaboration des volumes.
Maintenant que j'ai rattrapé le train en marche (il y a bien Chasseurs de fantasme, mais Taly s'en est déjà chargée) j'aurais bientôt le plaisir de chroniquer Elément II: L'Air qui devrait paraître avant la fin du mois d'avril. Les ouvrages de la collection "Recueil" me feront patienter tranquillement jusqu'à la prochaine anthologie.
Aube & Crépuscule, Griffe d'Encre, collection "Anthologie" dirigée par Magali Duez, 15€. Illustration de couverture: Alexandre Dainche.
Merci à Magali Duez pour sa confiance et Alexandre Dainche pour sa gentille dédicace.

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